À chaque culture, ses héros, ses vedettes, ses dieux. Et à Berlin, le Finlandais Aki Kaurismaki est un dieu vivant, devant lequel les médias se prosternent et communient avec jubilation, applaudissant à tout rompre ses films et buvant religieusement ses paroles.

Ainsi en fut-il hier lorsque le cinéaste s'est amené avec un film dont le titre devait être Le réfugié et qui, en cours de route, est devenu L'autre côté de l'espoir. Mais inutile de demander à Kaurismaki des explications sur le titre de son film, sur ce qu'il voulait dire, sur la musique rock du film jouée live par une bande de vieux rockers dont on n'a jamais su le nom. Un journaliste suisse, qui pourtant vénère Kaurismaki, m'a raconté que le cinéaste faisait le coup chaque fois qu'il se présentait en conférence de presse et qu'il n'y avait rien à y comprendre.

Hier, mieux valait s'en tenir à ce tout nouveau film, une fable à la fois folle, réaliste, pleine d'esprit et très réussie où le jeune réfugié syrien Khaled (Sherwan Haji), débarqué un peu par hasard à Helsinki, va croiser le meilleur et le pire de la Finlande: un gouvernement hypocrite qui accueille les réfugiés pour mieux les expulser, des groupes néonazis qui n'hésitent pas à battre ou à tuer ceux qu'ils considèrent comme de la vermine, mais aussi des gens, bons et généreux comme ce commis voyageur devenu proprio d'un infect bouiboui, qui va aider Khaled, lui donner un job et un toit et l'amener à peut-être commencer à aimer sa nouvelle vie.

Le bon samaritain proprio du bouiboui est interprété par un vieux pote de Kaurismaki, l'acteur Sakari Kuosmanen, qui jouait déjà dans Leningrad Cowboys, un des films les plus connus de Kaurismaki.

«Est-ce vrai qu'avec ce film, vous voulez changer la perception que les Finlandais ont des réfugiés?», a demandé une journaliste.

Réponse de Kaurismaki: «J'ai plus d'ambition que ça. Je ne veux pas juste changer la Finlande, je veux changer le monde entier.»

Plus sobrement, celui qui est une sorte de frère Coen nordique ou, mieux encore, d'André Forcier scandinave, a ajouté ne pas croire que le cinéma pouvait avoir une aussi grande influence sur le cours des choses. «Mais en tant que cinéaste, je ne peux qu'essayer honnêtement de faire comprendre aux gens que nous sommes tous des humains et qu'aujourd'hui, les réfugiés sont syriens, mais que demain, les réfugiés, ce sera peut-être nous.»

Une autre journaliste, une Russe qui avait la subtilité de Vladimir Poutine, voulait savoir ce qu'il pensait de l'islamisation. Kaurismaki l'a envoyée paître en répondant: «Un béret basque, un chapeau ou n'importe quel autre couvre-chef devrait être acceptable. Ce qui ne l'est pas, c'est l'attitude horrible de trop de Finlandais qui ont peur que les réfugiés volent leur voiture, ou la cire avec laquelle ils polissent leur voiture, ou la brosse avec laquelle ils enduisent cette cire.»

Sur la question des réfugiés, la seule qui l'intéressait vraiment, Kaurismaki est redevenu clair, limpide même, lançant au passage des fleurs à la chancelière allemande. «Permettez-moi de dire tout le respect que j'ai pour Mme Merkel, la seule en Europe qui a compris la situation et qui a fait des gestes pour y remédier.» Angela Merkel peut dormir en paix. Aki Kaurismaki vient de lui donner le Bon Dieu sans confession.

Les deux grandes Catherine

Catherine Frot est arrivée à pied, par la rue, comme une femme simple et sans prétention, et non pas comme une des actrices les plus populaires en France. Catherine Deneuve, pour sa part, est arrivée à l'heure, ce qui est un exploit dans son cas. La dernière fois que la star française donnait une conférence de presse à la Berlinale, les journalistes l'ont attendue plus d'une heure à cause d'une sombre histoire de panique capillaire. Cette fois, Deneuve a fait preuve de ponctualité. Toujours aussi belle malgré ses 70 ans bien sonnés, elle est arrivée à l'heure et a laissé Catherine Frot la précéder dans la salle où les flashes se sont mis à crépiter comme des insectes bruyants.

Les deux Catherine, réunies pour la première fois au cinéma, étaient à Berlin hier pour présenter Sage femme, un film de Martin Provost, le réalisateur de Violette et de Séraphine, qui a connu un beau succès un peu partout dans le monde.

Le film est dédié à Yvonne André, la sage-femme qui a littéralement sauvé la vie du réalisateur à sa naissance en lui faisant une transfusion sanguine avec son propre sang. Le film rend hommage aux sages-femmes, mais surtout met en relief l'incroyable talent et le charisme de Catherine Frot, qui n'est pourtant pas une beauté, mais qui dégage une présence et une humanité exceptionnelles.

Dans ce film, Catherine Frot incarne Claire, une sage-femme très dévouée à son métier, mais psychorigide dans sa vie. La maternité où elle travaille va bientôt fermer; son fils unique, qu'elle a élevé seule, a quitté la maison; et Claire est en quelque sorte morte intérieurement. Elle va revenir à la vie grâce à une femme qui, elle, est en train de mourir: Béatrice, son ex-belle-mère, une femme libre, joueuse, buveuse, fumeuse, mangeuse de viande rouge, atteinte d'un cancer du cerveau.

Non seulement les deux Catherine n'avaient jamais tourné ensemble, mais elles ne se connaissaient pas vraiment. «Et dans un sens, cela a servi le film, a expliqué Deneuve, dans la mesure où de manière tout à fait naturelle et pas artificielle, on s'est apprivoisées comme actrices en même temps que s'apprivoisaient nos personnages.»

De vrais accouchements

Même si Deneuve est une plus grande star internationale, c'est Frot qui, dans ce film tendre et touchant, vole le show. Deneuve y est excellente et ne «Deneuvise» pas trop comme dans certains de ses derniers films, mais Frot en femme qui, lentement, se libère des rancunes du passé et qui pardonne à Béatrice tout le mal qu'elle lui a fait est criante de justesse et de vérité. D'ailleurs, les cinq accouchements qu'elle supervise dans le film sont de vrais accouchements.

«Au départ, je ne voulais pas le faire, a raconté Frot. En tant qu'actrice, j'ai endossé toutes sortes de professions. J'ai été musicienne, cuisinière, mais là, il fallait un très gros effort puisqu'il s'agit de vrais accouchements. Au final, j'ai fait appel à ma froideur et je suis rentrée dans la technique des gestes pour pouvoir tourner ces scènes. Demain, s'il y a une femme qui accouche pas loin, je vous jure que je peux m'en occuper.»

Heureusement pour Catherine Frot, aucune journaliste n'a accouché en pleine conférence de presse. En revanche, la journaliste russe réputée pour son manque de tact a pris la parole pour affirmer que malheureusement, le film n'était pas un chef-d'oeuvre. Catherine Deneuve, experte non pas en chefs-d'oeuvre, mais en commentaires désobligeants, a servi à la Russe une belle leçon: «Vous savez, un chef-d'oeuvre, ça prend des années avant d'exister, a-t-elle répondu. En 1969, à la sortie de La sirène du Mississippi de François Truffaut, tous les critiques ont dit que c'était un navet. Pourtant, 15 ans plus tard, le navet était devenu un chef-d'oeuvre. C'est le temps qui décide.»

Avec beaucoup de tact et d'aplomb et sans jouer aux vierges offensées, Catherine Deneuve a démontré une fois de plus sa grandeur. Nous l'en remercions.

Photo fournie par France 3

Catherine Deneuve et Catherine Frot dans Sage-femme