Anaïs Barbeau-Lavalette a dû voir son film Inch'Allah au moins 150 fois, mais hier soir, à Berlin, c'est la première fois qu'elle pleurait.

Pas parce que la salle du Cinemaxx était pleine à craquer et que le public a suivi sans broncher l'histoire de Chloé, jeune médecin du Québec qui vit à Jérusalem et travaille dans un dispensaire en Palestine, allant et venant entre Rand, son amie palestinienne, et Ava, son amie israélienne du point de contrôle.

Anaïs n'a pas pleuré non plus en entendant les applaudissements nourris et chaleureux.

Elle a pleuré pour une raison toute simple. Il y a quatre mois, la cinéaste de 34 ans n'a pas eu le temps de se rendre à l'hôpital pour accoucher de son deuxième fils, le petit Ulysse. Elle a donc accouché dans son auto comme le fait Rand, la jeune Palestinienne du film, à la différence que le tacot de Rand est coincé dans un point de contrôle où un soldat israélien trop zélé refuse de la laisser passer.

Résultat: le bébé naît, mais meurt quelques secondes plus tard dans les bras de Chloé (Évelyne Brochu), qui court en vain vers l'hôpital avec son petit corps inerte et en sang. C'est cette scène déchirante qui a fait pleurer Anaïs.

« J'ai réalisé, pour la première fois depuis mon accouchement, que s'il y avait eu un checkpoint à Montréal, mon petit Ulysse ne serait peut-être pas là avec moi et ça m'a fait un choc », a t-elle dit en lançant un regard attendri au petit Ulysse endormi dans les bras de sa gardienne.

Accueil chaleureux

Pour le reste, Anaïs était ravie de l'accueil chaleureux des Berlinois. Les gens de Téléfilm, de la SODEC, de la délégation du Québec et de l'ambassade du Canada l'étaient aussi. Mais pas autant que les producteurs Luc Déry et Kim McCraw.

Après un succès mitigé au Québec, les producteurs ont bon espoir que le film connaîtra un nouveau souffle et une deuxième vie, d'abord à Berlin, puis un peu partout en Europe. Plus d'une quinzaine de pays ont acheté le film, y compris l'Australie.

En mars, Inch'Allah sortira en Suisse, en Belgique et dans 60 salles en France, ce qui n'est pas rien. Selon Luc Déry, Inch'Allah démarre en Europe de la même façon qu'avait démarré Incendies.

À la fin de la projection, quelques questions ont fusé de la salle. Un spectateur voulait savoir si Israël et la Jordanie avaient participé au financement du film, vu les remerciements qui leur sont adressés au générique. Non. Inch'Allah est une coproduction entre la France et le Canada. Le film a été tourné à 80% en Jordanie, mais la Jordanie n'a pas versé un sou, et Israël non plus.

Amitié impossible

Tous les membres de l'équipe d'Inch'Allah présents hier soir avaient déjà vu le film, sauf une personne: Sivan Levy, jeune actrice, réalisatrice et chanteuse de Tel-Aviv qui incarne Ava, la soldate du point de contrôle.

Comme Ava, Sivan a dû faire son service militaire à 18 ans. C'est obligatoire pour les filles comme pour les garçons en Israël. Heureusement, Sivan n'a pas eu à sévir en uniforme au point de contrôle, mais plutôt comme musicienne.

L'actrice tenait absolument à voir le film sur grand écran et a donc décidé de venir à Berlin où, en plus, elle présentait un court métrage. Avant la projection, elle était nerveuse et craignait de mal réagir à un film que certains qualifient de pro-palestinien. Après la projection, elle était soulagée.

« C'est un beau film sur l'amitié impossible entre deux peuples où personne n'a tort ni raison. C'est un film dont je suis très fière », a-t-elle lancé avec un grand sourire, point d'orgue d'une soirée qui n'aurait pas pu mieux finir.