Il y a cinq ans, la comédienne Lubna Azabal remportait un immense succès avec son incarnation de Nawal Marwan dans le film Incendies de Denis Villeneuve. Celle qui avait entre autres obtenu un Jutra, un Génie et un Magritte pour ce rôle confie avoir continué à interpréter des rôles de femmes arabes fortes. La Presse l'a rencontrée.

«Je déteste les personnages de femmes larmoyantes. Tant qu'on se verra en tant que victimes, on sera des victimes. Il faut se voir comme des guerrières», lance la comédienne Lubna Azabal en entrevue avec La Presse, qui lui demande de revenir sur les rôles incarnés depuis celui de Nawal Marwan dans le long métrage Incendies de Denis Villeneuve.

La phrase est lâchée sans prétention ou méchanceté aucune. Elle se veut simplement le reflet du fait que Lubna Azabal aime non seulement incarner des personnages de femmes arabes combattantes et déterminées, mais qu'elle les vit littéralement et les défend avec une fougue belle à voir.

«Il n'y a que de cette façon qu'on pourra faire changer les choses, ajoute avec conviction cette comédienne née d'un père marocain et d'une mère espagnole. Parce que c'est par la femme que les choses changeront. Ce sont elles, de toute façon, qui possèdent les clés de la transmission.»

La Presse a rencontré Mme Azabal au Festival international du film francophone (FIFF) de Namur, où elle préside le jury des courts métrages.

Depuis Incendies, dit-elle, le travail n'a pas arrêté. Elle s'est principalement investie dans le cinéma, faisant un détour de six mois pour le tournage d'une télésérie anglophone, The Honorable Women, à Londres.

Elle a défendu entre autres le rôle principal de Dounia dans le long métrage Goodbye Morocco de Nadir Moknèche.

«Goodbye Morocco évoquait une femme libre, au Maroc, une femme à la tête d'une entreprise où elle dirige des hommes. Ça parle de corruption, de la situation des Noirs et des homosexuels au Maroc.»

«[Goodbye Morocco] parle de la position de la femme. Dounia est obligée d'être un requin parmi les requins si elle veut réussir. Elle se bat pour vivre sa liberté. Elle est divorcée, elle vit avec un Européen. Tout ce qu'une femme ne doit pas faire au Maroc, elle le fait.»

En 2013, on la voyait dans le film La marche de Nabil Ben Yadir où elle incarnait Keira, femme en colère contre les injustices de la société française. Mettant aussi en vedette Olivier Gourmet et Charlotte Le Bon, le long métrage était une interprétation libre de La marche pour l'égalité et contre le racisme tenue à l'automne 1983 en France. Cela a valu à Mme Azabal un deuxième Magritte (les Jutra belges), cette fois dans la catégorie du meilleur rôle de soutien.

«J'ai aussi adoré porter ce film, dit-elle. Je me suis mise dans la peau d'une Black Panther. Je suis allée puiser mon inspiration chez les grandes figures de femmes noires, comme Angela Davis.»

Les années 80 ont été marquées en Europe par ce qu'on appelait l'«arabicide», rappelle la comédienne. «Il ne faisait pas bon être arabe à cette époque-là. Il y a eu quelque 300 meurtres en France, dont celui d'un jeune Algérien qui, en vacances à Paris, a été massacré dans un train et jeté vivant par-dessus bord. Et personne ne l'a aidé. C'étaient des légionnaires qui ont fait ça et ils ont pris six mois de prison. C'est terrible.»

Elle dit que d'avoir fait partie d'un projet comme Incendies est une immense chance. «C'est quelque chose sur lequel on tombe une fois par 10 ans. Je voyage beaucoup et ce qui est magnifique avec Incendies est que je peux arriver à Bogota et que des gens me demandent si c'est moi qui jouais dans le film. C'est un bonheur infini. Ce film à thème a marqué tellement de monde dans son propos! Il a remué beaucoup de gens. Tous ceux qui ont vu ce film m'en parlent avec la même ferveur, parfois avec des tremblements dans la voix, etc. C'est le plus beau cadeau qu'on puisse faire à un acteur ou une actrice.»

Présidente d'un jury

À Namur, Lubna Azabal préside donc le jury des courts métrages, section comptant une cinquantaine de films. Ce jury de cinq personnes compte aussi dans ses rangs le Québécois Ian Gailer, directeur général du Festival de cinéma de la ville de Québec.

«J'ai siégé à titre de membre dans une quinzaine de jurys. Donc, j'ai une habitude. Par contre, être présidente demande une responsabilité supplémentaire, dit-elle. Mais ça se passe assez bien. Nous avons, je crois, la même vision des choses.»

Juste avant d'arriver à Namur, la comédienne terminait le tournage du long métrage I Want to Be Like You de Konstantin Bojanov, cinéaste bulgare dont le film précédent, Avé, avait été présenté à Cannes. «C'est un road movie dans lequel un adolescent de 16 ans a une obsession pour un artiste peintre à la Picasso. Moi, je suis la femme, une écrivaine, de ce peintre. L'adolescent va traverser trois pays pour nous rejoindre et trouver son graal, mais il va plutôt se retrouver dans un enfer psychologique. C'est un film qui questionne l'art, parle de passion, de perte de passion, etc.»

La semaine prochaine, elle s'envole pour le Nouveau-Mexique afin de terminer le tournage d'un court métrage. Puis, elle rejoindra la comédienne Sandrine Bonnaire pour le tournage du prochain film de Gaël Morel.

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Les frais de ce reportage sont payés par le FIFF.