Philippe Lesage a lancé vendredi Les démons au Festival de San Sebastián. Ce premier film de fiction, beau et troublant, fait subtilement écho aux angoisses de l'enfance. Malgré un bel accueil, le jury l'a toutefois écarté du palmarès.

Avant la projection de son film Les démons, sélectionné en compétition officielle, Philippe Lesage ne cachait pas sa nervosité. Il est vrai que le cinéaste québécois, reconnu jusqu'ici grâce à ses documentaires (Ce coeur qui bat, Laylou), vivait à San Sebastián sa première expérience festivalière internationale d'envergure. La grande salle du Kursaal, qui peut accueillir 1800 spectateurs, affichait pratiquement complet, vendredi soir. Quand l'équipe du film, composée d'Édouard Tremblay-Grenier, de Pascale Bussières, de Rose-Marie Perreault, du producteur Galilé Marion-Gauvin et du cinéaste, a salué le public de la loge d'honneur à la fin de la projection, le public n'a pas ménagé ses applaudissements.

«Je suis assez "flabergasté"!», a déclaré le cinéaste à La Presse quelques minutes après avoir mis son film au monde. Étant donné la nature un peu plus particulière du film, je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. Je n'en revenais pas de voir tous ces gens continuer de nous applaudir alors qu'on était en train de descendre le grand escalier. C'est un moment formidable!»

Un bel accueil

Plus tôt le matin, à la toute première projection de presse, des applaudissements se sont fait entendre dès l'apparition du générique de fin. La presse basque et espagnole a semblé apprécier ce drame troublant, qui fait écho à la vie intérieure d'un enfant angoissé.

«J'ai accordé beaucoup d'interviews pendant la journée, faisait remarquer le cinéaste. La plupart des journalistes, majoritairement hispanophones, ont posé de bonnes questions. Ils m'ont aussi beaucoup parlé du film. Heureusement, leurs commentaires étaient positifs!»

Dès la première séquence, Philippe Lesage, qui signe ici son premier film de fiction, installe un climat un peu décalé. Comme si la réalité pouvait basculer à tout moment. Des enfants dans un gymnase. Ils sourient, dansent, font de l'exercice, dépensent de l'énergie pendant que les notes graves d'une partition de Sibelius laissent deviner un univers plus sombre.

Parmi les enfants, le petit Félix (excellent Édouard Tremblay-Grenier), d'allure peut-être un peu plus fragile, qui vit essentiellement dans son monde intérieur. On remarquera d'ailleurs que les voix des adultes qui entourent ce garçon de 10 ans sont souvent entendues de très loin, comme si une barrière difficile à franchir s'interposait entre les deux mondes.

La force des plans-séquences

Utilisant la force des plans-séquences, le cinéaste nous entraîne ainsi dans un monde où l'imagination fertile d'un enfant anxieux s'entremêle souvent à la réalité. Qu'il s'agisse d'une crise familiale (une scène de dispute entre les parents - Pascale Bussières et Laurent Lucas - est l'une des plus marquantes du film), de faits divers survenus dans la ville ou de l'angoisse créée par l'exposé d'une écolière sur le sida, Félix est constamment tourmenté par le questionnement qui le ronge.

Devant la cinquantaine de journalistes réunis pour la conférence de presse, le cinéaste a expliqué qu'il n'était finalement pas allé très loin pour chercher l'idée de ce film.

«C'est tout simple, a-t-il dit. Félix est très largement inspiré de ce que j'étais moi-même, enfant. En explorant mes propres démons imaginaires, j'ai voulu décloisonner un peu les barrières qu'on met entre l'enfance et la vie adulte. D'autant que, même adulte, on peut facilement s'identifier à ce que vivent les enfants. Ce genre d'anxiété ne s'apaise pas en vieillissant. On apprend à vivre avec. Il n'y a pas beaucoup de moments de paix dans une vie. C'est ce qui fait aussi la beauté de la chose, d'une certaine façon.»

Aussi a-t-il voulu atteindre la plus grande authenticité possible en laissant ses acteurs très libres. Quitte à reprendre une prise plus d'une fois. Le long plan-séquence de la querelle de couple, dans laquelle interviennent les enfants, repose en grande partie sur une improvisation.

«Je n'aime pas couper ! précise le cinéaste. À mon avis, les meilleurs monteurs sont ceux qui laissent vivre les scènes. Comme le film est très peu découpé, les acteurs peuvent ainsi jouer de façon plus libre, sans même trop penser à l'espace. Il était important de faire écho à la vie intérieure de Félix, et pour cela, il faut du temps. Cela procède aussi d'une volonté de laisser beaucoup de liberté au spectateur dans son interprétation.»

Formé au documentaire, Philippe Lesage a tenu à recréer sensiblement le même genre d'environnement pour le tournage de son premier film de fiction, histoire d'éviter toute lourdeur technique.

Près de Pialat

De son côté, Pascale Bussières, présente aussi à cette conférence de presse, a trouvé intéressante cette façon quelque peu inhabituelle de travailler.

«Philippe fait partie de ces cinéastes qui font confiance aux acteurs, a-t-elle déclaré. Il souhaite toujours atteindre la plus grande vérité. Il est près de Maurice Pialat dans son approche.»

En lice pour la Coquille d'or, Les démons a finalement été écarté du palmarès établi par le jury (présidé par l'actrice danoise Paprika Steen). Cela dit, le film de Philippe Lesage est déjà sélectionné dans quelques festivals européens, notamment ceux de Namur et de Hambourg. D'autres sélections devraient être annoncées très bientôt, selon le producteur Galilé Marion-Gauvin.

Au Québec, Les démons prend l'affiche en salle le 30 octobre.

Les frais de voyage et d'hébergement ont été payés par Fun Film et le Festival de San Sebastián.

Palmarès du 63e Festival de San Sebastián

Coquille d'or

Sparrows, de Rúnar Rúnarsson

Prix spécial du jury

Évolution, de Lucile Hadzihalilovic

Coquille d'argent de la mise en scène

Les chevaliers blancs, de Joachim Lafosse

Coquille d'argent de la meilleure actrice

Yordanka Ariosa (El rey de La Habana)

Coquille d'argent du meilleur acteur

Riccardo Darin et Javier Cámara (Truman)

Prix du jury-meilleur scénario

21 nuits avec Pattie (Arnaud et Jean-Marie Larrieu)