La petite histoire cachée au fond de la grande Histoire nous en dit beaucoup sur une époque. C'est ce qui a sans doute motivé le vétéran Stephen Frears à réaliser Victoria & Abdul, son nouveau film dans lequel il dirige, trois ans après Philomena, la grande Judi Dench, l'une des meilleures actrices au monde.

Encore faut-il qu'un réalisateur trouve l'angle juste pour éclairer cette époque; ici, la fin de l'ère victorienne, à l'apogée de la puissance de l'Empire britannique. Or, en se penchant sur l'histoire méconnue de l'amitié intime entre Mohammed Abdul Karim, serviteur indien musulman, et la reine Victoria au cours des 15 dernières années de son (long) règne, le cinéaste anglais y parvient à moitié, hésitant entre drame et satire, reconstitution historique et théâtre de chambre.

Histoire vraie et extraordinaire

Le film est librement inspiré d'une histoire vraie qui semble incroyable. Au tournant du XXe siècle, la reine Victoria va s'attacher à son jeune valet (qu'on a fait venir de l'Inde à l'occasion d'un banquet pour souligner son jubilé). Celui-ci va gagner l'affection de la souveraine, à un point tel qu'il deviendra son professeur, son allié et son confident. Au grand dam de la famille royale et des autres membres de la cour qui s'indignent en voyant Sa Majesté accorder sa confiance et ses faveurs à un étranger à la peau foncée, musulman de surcroît. Cet épisode a longtemps été oublié dans les tiroirs de l'Histoire, jusqu'à la publication d'un ouvrage sur le sujet en 2010. À la mort de Victoria, son fils et successeur, le roi Édouard VII, a expédié illico Abdul en Inde, en prenant soin de faire détruire tous les documents témoignant de l'amitié entre sa mère et le serviteur.

Le racisme d'hier et d'aujourd'hui

Vous comprendrez que ce long métrage historique a des échos dans l'actualité. Au début, Stephen Frears porte un regard à la fois amusé et émerveillé sur le faste de la cour et l'arrogance de ses résidants. La lassitude de Victoria est palpable devant tout le protocole et les courbettes exigés par sa fonction. Jusqu'à l'arrivée d'Abdul, comme un vent de fraîcheur dans les couloirs renfermés du palais.

La seconde partie du film met l'accent sur l'ascension d'Abdul parmi la garde rapprochée de Victoria, et leur amitié sincère et malmenée. Car la cour, hypocrite, raciste et protégeant ses privilèges, fera tout pour briser la confiance de la reine envers son protégé. Cette attitude a des résonances chez les potentats d'aujourd'hui en Occident...

Or, la reine ne tolère pas le racisme. Elle exige même que la Cour traite son ami avec courtoisie et respect. Malheureusement, le film ne parvient pas à rendre crédible l'ouverture de Victoria au monde et à la culture étrangère. Les idées modernes et progressistes de la reine semblent aussi étonnantes qu'improbables. Et plutôt basées sur un flirt avec un beau serviteur, à la fois candide et exotique, qui enjolive son quotidien et chasse son ennui royal. Pas de quoi déclencher une révolution!

Magistrale Judi!

Judi Dench est encore une fois magistrale dans le rôle de la souveraine. C'est la seconde fois en 20 ans que l'actrice incarne Victoria (elle l'a jouée plus jeune, dans Mrs. Brown, qui lui a valu une sélection aux Oscars en 1998). De reine blasée et froide à dame attendrissante et gaie, de figure d'autorité à vieille femme malade, Judi Dench trouve toujours la note juste du personnage.

Dans le rôle d'Abdul, Ali Fazal est charismatique jusqu'au bout des ongles. Toutefois, son jeu est plus limité. Eddie Izzard est très drôle dans le rôle du futur roi, dépassé par la liberté de sa mère.

Très divertissant, le film offre aussi des images splendides et une direction artistique impeccable.

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Victoria & Abdul (V.F.: Victoria et Abdul). Drame biographique de Stephen Frears. Avec Judi Dench, Ali Fazal, Eddie Izzard. 1h52.

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Victoria & Abdul