Robert Morin nous avait bien prévenus. Le problème d'infiltration a tout du feel bad movie. Le réalisateur de Journal d'un coopérant tient très bien sa promesse sur ce plan, mais il a omis de dire qu'il nous offrait du même coup l'un de ses meilleurs films.

De la première à la dernière scène de son nouveau long métrage, le cinéaste instaure un climat anxiogène qui ne laisse aucun répit au spectateur. En s'inspirant de l'esprit du grand cinéma expressionniste allemand, dont les plus grands ambassadeurs furent F.W. Murnau et Fritz Lang, Morin nous entraîne dans la tête d'un homme infiltré progressivement par de sombres pulsions, au point d'en venir, peut-être, à commettre l'irréparable.

La fissure au sein de l'esprit de Luc, chirurgien spécialisé dans le traitement des grands brûlés, s'élargit en son âme au même rythme que celle, bien réelle, qui laisse entrer l'eau dans le sous-sol de sa maison cossue. Quand on fait sa rencontre, ce bourgeois bon teint semble pourtant faire partie de ces professionnels qui exercent leur métier avec rigueur. Aussi subit-il avec un certain émoi les récriminations d'un patient (Guy Thauvette) qui vient de découvrir le visage monstrueux avec lequel il va devoir apprendre à vivre.

Au fil d'événements plus ou moins anodins qui surviennent dans son quotidien, le quinquagénaire voit son monde s'écrouler, particulièrement au chapitre de la vie intime. Une scène, très forte, montre en outre le désarroi qui l'habite quand il se surprend à écouter une chanson de gangsta rap particulièrement violente, qu'apprécie pourtant son fils adolescent (William Monette). Ce dernier semble d'ailleurs mener à l'extérieur de cette maisonnée trop propre une vie complètement différente, dont son père n'est pas en mesure de soupçonner la nature.

Bientôt, la folie rôde, plus insidieuse que vraiment apparente. Sur ce front, la façon dont Morin illustre cette descente aux enfers est exemplaire.

De l'ordre du ressenti

Ici, tout est une question de mise en scène et de jeu d'acteurs. Les effets techniques sont entièrement au service d'une histoire que le cinéaste découpe en quelques plans-séquences raccordés à la manière de Birdman. Aucun effet racoleur ne vient ponctuer cette entrée dans un cinéma de genre dans lequel l'horreur relève davantage du ressenti. 

En Christian Bégin, qui campe son premier grand rôle au cinéma après une trentaine d'années de carrière, Robert Morin a trouvé l'interprète idéal. Présent dans tous les plans, souvent filmé très près du visage, l'acteur se glisse avec finesse dans les méandres psychologiques d'un personnage dont on peut tout deviner, et aussi tout craindre. Fort bien appuyé par quelques partenaires, notamment Sandra Dumaresq dans le rôle de l'épouse déstabilisée par le comportement plus étrange de son mari, Christian Bégin propose une remarquable composition, dans un film maîtrisé de bout en bout.

Les choix de réalisation de Robert Morin, et cela inclut l'utilisation de l'excellente partition musicale qu'a composée Bertrand Chénier, n'auraient pu être, franchement, plus judicieux. Tous les éléments (y compris les images que le cinéaste signe lui-même) s'harmonisent parfaitement et font basculer ce film relativement modeste du côté de ces oeuvres qu'on n'oublie pas.

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Le problème d'infiltration. Thriller psychologique de Robert Morin. Avec Christian Bégin, Sandra Dumaresq, Guy Thauvette. 1 h 33.

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photo fournie par la production

Le problème d'infiltration