Dans The Beguiled, présenté au dernier Festival de Cannes où il a remporté le Prix de la mise en scène, Sofia Coppola renoue avec l'atmosphère oppressante d'un gynécée rappelant son très troublant Virgin Suicides.

En entrevue, la réalisatrice a affirmé qu'il ne s'agissait pas d'un remake du film de Don Siegel de 1971, adaptation du même roman de Thomas Cullinan, où Clint Eastwood volait la vedette à la distribution féminine, et on a plutôt envie de lui donner raison. C'est une proposition très différente dans laquelle le seul personnage masculin est vraiment secondaire face aux femmes, quand bien même il est l'objet de toutes les convoitises. En fait, pour une fois, nous voyons en quelque sorte un homme-objet malgré lui qui vit assez maladroitement sa situation...

En pleine guerre de Sécession, dans un pensionnat pour jeunes filles de Virginie, la directrice Martha (Nicole Kidman, tout en paradoxes) et la professeure Edwina (Kirsten Dunst, tout en mélancolie) enseignent le français et les belles manières du Sud à cinq pensionnaires, pendant qu'on entend au loin les canons sur le champ de bataille. Mais l'Histoire avec un grand H n'intéresse pas Coppola, et comme dans Marie Antoinette, qui laissait la Révolution hors des murs de Versailles, telle une rumeur, la guerre civile, ici, n'est qu'un grondement sourd, toile de fond d'un autre conflit, plus intime.

C'est une atmosphère qui suinte l'ennui, un temps suspendu où les apprentissages sexués semblent absurdes sans les regards auxquels ils sont destinés. Tout change lorsque John (Colin Farrell, toujours très juste lorsqu'il s'abandonne à une réalisatrice, comme dans Miss Julie), un soldat nordiste blessé, trouve refuge chez ces dames. D'abord la cohésion du groupe, traversé soudainement par les tensions sexuelles. Car le problème n'est pas tant le fait qu'il soit nordiste, mais qu'il soit un homme. Les fillettes sont curieuses et recherchent son amitié ; l'adolescente Alicia (Elle Fanning en totale Lolita) ne veut que le séduire sans aucune subtilité, Edwina le voit comme un ticket pour s'enfuir de sa prison, tandis que Martha est partagée entre son désir et son devoir de protéger le groupe contre ce mâle dont on ne sait rien.

Coppola prend un malin plaisir à montrer le trouble féminin devant le corps masculin, et à quel point l'homme est un analphabète des subtils jeux de pouvoir entre femmes, dont la solidarité collective est mise à mal par sa simple présence. Mais elle reviendra dès qu'il osera être menaçant autrement que par son charme, car, pas très brillant, c'est à peu près le seul avantage qu'il a, aussi minoritaire sous ce toit.

On pourrait penser que le loup est dans la bergerie, mais ces personnages féminins sont loin d'être des moutons, et le titre français du film, Les proies, est mal choisi : s'il y a une proie, c'est bien John, et il était cuit dès son arrivée. Porté par d'excellents interprètes et sublimé par la direction photo de Philippe Le Sourd, The Beguiled est un suspense raffiné, qui contient beaucoup d'humour, sur le désir et le pouvoir, dont le principal défaut est de finir un peu trop abruptement.

The Beguiled (V.F.:  Les proies), un drame de Sofia Coppola. Avec Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Colin Farrell, 1 h 33

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image fournie par Focus Features

The Beguiled