Quand on lui faisait remarquer que l'aspect satirique de son Elvis Gratton risquait de passer complètement par-dessus la tête d'une certaine partie de son public, le regretté Pierre Falardeau ne s'en formalisait pas. Il estimait que, tôt ou tard, le message de dénonciation finirait bien par passer. Dommage que le passage du temps ne semble pas lui avoir donné raison. On peut se poser la même question par rapport à Votez Bougon.

Se pourrait-il que les idées véhiculées dans cette grosse farce - devant laquelle on rit de plus en plus jaune - soient prises au premier degré et alimentent davantage le discours populiste qui embrase actuellement le monde occidental? Ou feraient-elles plutôt ressortir sous des traits caricaturaux la nature absurde du nouveau discours politique pour mieux le dénoncer?

Le spectateur disposera évidemment de sa propre grille de lecture, mais il retrouvera, assurément, les Bougon tels qu'en eux-mêmes. En cela, les artisans sont restés très fidèles à l'esprit de la série iconoclaste, qui a fait les beaux jours de la télé radio-canadienne pendant trois saisons au cours de la dernière décennie.

Il appert toutefois que, depuis le retrait de la série des ondes télévisuelles il y a 10 ans, la réalité est pratiquement venue rattraper la fiction. Voilà bien l'aspect le plus troublant de cette nouvelle mouture cinématographique.

Bien sûr, l'intérêt de Paul Papa Bougon (formidable Rémy Girard) pour l'activité politique est d'abord et avant tout mercantile. Après tout, il est à la tête de la plus célèbre famille de «crosseurs» du Québec. Mais son implication découle aussi d'une blessure d'orgueil. Invité à la grande messe télévisuelle du dimanche soir pour en être la tête de Turc (Serge «Je m'en câlisse» Denoncourt anime cette copie conforme de Tout le monde en parle), le chef du clan Bougon atteint la notoriété instantanée. Devant les caméras, il ferme en outre le clapet d'un politicien véreux à grands coups d'arguments massue, inspirés de la bible du gros bon sens.

En fondant ensuite son propre parti citoyen, le Parti de l'écoeurement national (le PEN), Paul Bougon se hisse rapidement en tête des sondages en empruntant un discours qu'on dirait tout droit sorti de la bouche suave de Bernard Rambo Gauthier.

Efficace, mais en déficit de gags

C'est là que les problèmes commencent, car le nouveau «politicien» se laisse prendre à son propre jeu. Ce qui, on s'en doute, créera aussi des tensions au sein du clan, même si, tel un certain président désigné, le patriarche n'hésite pas à attribuer des postes clés à ses proches.

Comme on peut s'y attendre, le récit est ponctué de vulgarités en tous genres, de gags en bas de la ceinture, et tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge: politique, médias, enjeux sociaux et culturels. 

À cet égard, le film, réalisé par Jean-François Pouliot (La grande séductionLes 3 p'tits cochons 2), transgresse de façon efficace toutes les règles de la rectitude politique avec la même subtilité qu'un camion 18 roues.

Cependant, à l'instar de nombreuses sitcoms dont le passage au grand écran a été plus ou moins heureux (Sex and the CityEntourage), le film a parfois du mal à trouver son rythme. Sur la durée d'un long métrage, il est en effet difficile de proposer une enfilade de punchs comme on peut le faire pour un épisode de 23 minutes à la télévision. Il faut développer une intrigue, créer un arc émotif, explorer les choses plus en profondeur. Les auteurs (François Avard, Jean-François Mercier et Louis Morissette) se sont plutôt bien débrouillés sur ce plan, mais il reste que, par moments, on se retrouve quand même en déficit de «bons» gags.

Il est toutefois indéniable que Votez Bougon cristallise quelque chose de l'air du temps et qu'il en tire sa pertinence. Pour le meilleur et pour le pire.

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Votez Bougon. Comédie satirique de Jean-François Pouliot. Avec Rémy Girard, Louison Danis, Hélène Bourgeois Leclerc, Antoine Bertrand. 1h33.

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Image fournie par Remstar

Votez Bougon