Se prononcer sur un film de Xavier Dolan au Québec, c'est presque s'avancer en terrain miné. Le personnage ne laisse personne indifférent. Et ses films ne tolèrent aucune nuance de beige. Même si Juste la fin du monde est une adaptation très fidèle d'une pièce de Jean-Luc Lagarce, ce sixième long métrage en titre pour l'enfant chéri du Festival de Cannes reste foncièrement, complètement, totalement un film signé Dolan.

Cela dit, ce nouvel opus, plus sombre, n'appelle pas le genre d'émotion viscérale et consensuelle suscitée par Mommy, son film précédent. À cet égard, le cinéaste n'a pas choisi la facilité. Dolan emprunte cette fois une approche très différente pour décrire un huis clos familial étouffant, voire anxiogène. Le parti pris de mise en scène consistant à raconter cette histoire à travers les visages des protagonistes, filmés en gros plans, vient ici briser l'aspect théâtral d'origine. Et donne ainsi l'occasion aux acteurs de miser sur la finesse et la subtilité d'une partition où le vrai propos est maquillé sous un flot de paroles plus ou moins signifiantes.

André Turpin signe une fois de plus de sublimes images en baignant les personnages dans un clair-obscur à travers lequel les regards sont particulièrement mis en valeur.

Moments forts et intimes

Gaspard Ulliel offre l'une de ses meilleures compositions en se glissant dans la peau de Louis, un jeune écrivain à succès qui, après 12 ans d'absence, revient à la maison familiale pour annoncer à ses proches, peut-être, sa mort imminente. Le très joli prologue, au cours duquel un enfant assis derrière lui dans l'avion s'amuse à lui masquer les yeux, révèle l'état d'esprit d'un homme qu'on sent déjà serein face à son destin, mais qui compte aussi faire enfin la paix avec un passé familial douloureux.

Le récit est construit de telle sorte qu'aux séquences collectives, dans lesquelles figurent les cinq personnages, s'ajoutent des scènes où chacun des proches se retrouve seul avec Louis. Elles se posent comme autant de moments forts, intimes, que Louis doit gérer à sa façon, tout en douceur et en délicatesse. Une mère extravagante (Nathalie Baye, excellente), une soeur impétueuse qui a idéalisé pendant des années ce frère qu'elle n'a pratiquement pas connu (Léa Seydoux, intense), un frère caractériel mal aimé (Vincent Cassel), sans oublier la belle-soeur discrète, mais qui comprend tout de suite la raison de la venue de Louis, alliée immédiate dont la présence se révèle essentielle (Marion Cotillard, parfaite comme toujours).

La part d'indicible

Entre la version de Camille de la chanson Home Is Where It Hurts, qui ouvre le film, et Natural Blues (Moby), qui le clôt, Dolan plonge tête baissée dans l'univers de Lagarce et propose aussi, fidèle à sa manière, des apartés qui se révèlent comme autant de moments de grâce. 

L'évocation de l'enfance ou celle d'un premier amour empruntent ici de magnifiques accents lyriques. 

La trame musicale de Gabriel Yared est ainsi utilisée à bon escient et souligne les rares moments de vérité que les protagonistes s'échangent parfois en silence.

On pourra évidemment trouver que ça se crie par la tête un peu trop; que Vincent Cassel «casselise» en diable, ou que Léa Seydoux en fait des caisses, mais l'essentiel est ailleurs. Il réside dans la part d'indicible que Dolan a brillamment su capter. Et qui nous hante encore bien après la projection.

Juste la fin du monde prend l'affiche aujourd'hui.

* * * 1/2

Juste la fin du monde. Drane de Xavier Dolan. Avec Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Vincent Cassel. 1h37.

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Image fournie par Les Films Séville

Juste la fin du monde