King Dave, le nouveau film de Podz (10 1/219-2), n'est pas qu'un tour de force formel. On a beaucoup parlé de son plan-séquence de 91 minutes, réalisé sur quelque 9 km et une vingtaine de lieux de tournage. À tel point qu'on puisse être décontenancé par son entrée en matière, qui fait mentir les prétentions du plan unique et nous laisse imaginer que la suite ait pu être «arrangée avec le gars des vues», à la manière du faux plan-séquence de Birdman d'Iñárritu.

Il n'en est rien. Hormis cette scène de départ sur une rame de métro, le reste du film a en effet été tourné en un seul plan continu - bonifié çà et là par des effets visuels - comme L'arche russe de Sokourov, mais pas dans le même lieu. On a construit des décors qui communiquent, prévu des zones de transition, tourné sur des plateformes mobiles, dans un seul et même quartier de l'est de Montréal. Et on a tourné le tout en un seul enchaînement, pendant cinq soirs (en retenant seulement la cinquième prise).

Un énorme défi technique et logistique. De l'effet de style? Certainement. Mais sans esbroufe et au service d'un propos.

La forme sert ici à merveille le fond, en mettant en valeur le monologue percutant d'Alexandre Goyette, écrit pour le théâtre il y a une douzaine d'années (et qui lui a valu le Masque du meilleur texte original et de la meilleure interprétation en 2005).

Goyette raconte l'histoire d'un jeune douchebag de Rivière-des-Prairies qui, par jalousie, fait une série de mauvais choix, lesquels l'entraîneront dans une spirale de violence inextricable. David est un jeune homme déboussolé qui cherche sa voie. Il a grandi dans une jungle urbaine, entouré de membres de gangs de rue. Il se sent menacé et a envie qu'on le prenne au sérieux. Il joue les durs et finit par être pris à son propre jeu.

Alexandre Goyette avait 25 ans lorsqu'il a imaginé ce personnage, inspiré par des jeunes qu'il a côtoyés à l'adolescence. Il en a presque 40. Certains le trouveront sans doute trop vieux pour incarner cet ado attardé, pour qui le passage à l'âge adulte est aussi complexe qu'éprouvant. Je l'ai plutôt perçu comme le narrateur de sa propre histoire, des années plus tard. Un homme plus mûr qui rejoue ni plus ni moins les 10 jours malheureux qui ont gâché ses jeunes années.

King Dave s'appuie sur des conventions théâtrales, adaptées au cinéma. Il n'y a pas de quatrième mur. Dave nous raconte son histoire, alors même qu'elle est illustrée à l'écran par des lieux et d'autres personnages (sur scène, Goyette les interprétait tous). Le film de Podz assume pleinement cette théâtralité. Il l'embrasse. Cela se traduit bien sûr dans le jeu d'Alexandre Goyette, qui est à la fois acteur et narrateur, personnage et conteur. Il joue tantôt face à la caméra, pour le public, tantôt avec les autres comédiens.

C'est une proposition radicale, à laquelle on adhère ou pas. Certes, tout n'est pas parfait. La valse technique se fait sans doute au détriment d'une émotion plus subtile ou profonde. Il y a parfois des couacs dans le jeu, en particulier de certains acteurs de soutien ayant peu l'occasion de se mettre en valeur (cela dit, les jeunes Karelle Tremblay et Mylène Saint-Sauveur sont très justes). Ce sont les risques inhérents à ce genre d'entreprise. King Dave, malgré ces lacunes, demeure une proposition extrêmement audacieuse et originale. Un pari fou, relevé haut la main.

* * * 1/2

King Dave. Drame de Podz (Daniel Grou). Avec Alexandre Goyette, Mylène Saint-Sauveur, Karelle Tremblay. 1h39.

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Image fournie par Les Films Séville

King Dave