En 1948, un jeune étudiant américain, Milton Hindus, débarque au Danemark pour rencontrer l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, en exil avec sa femme Lucette Destouches et leur chat Bébert, car on le soupçonne de collaboration avec les nazis. Hindus est un fervent admirateur du Voyage au bout de la nuit ainsi que de Mort à crédit. Il défend et l'oeuvre, et l'écrivain. Une aubaine pour Céline et Lucette qui ont besoin de se refaire une réputation. D'autant plus que Hindus est juif.

De cette étonnante rencontre qui a duré trois semaines, Hindus a écrit un livre, The Crippled Giant (traduit en français par L.-F. Céline, tel que je l'ai vu), paru en 1950.

De cette étonnante rencontre aussi, le cinéaste Emmanuel Bourdieu a fait un film sous forme de huis clos entre Céline (Denis Lavant), Lucette (Géraldine Pailhas) et Hindus (Philip Desmeules). Il faut dire que ce face-à-face a tout d'un synopsis rêvé car enfin, ce que Milton Hindus a vécu de près, bon nombre de lecteurs de Céline qui ont tenté de le défendre l'ont vécu aussi en découvrant ses pamphlets antisémites indéfendables. 

C'est l'histoire d'une déception, celle du fan sincère face au « grand écrivain » qui découvre la petitesse de l'homme réel qui est derrière. Bien souvent, il vaut mieux lire un écrivain que de le fréquenter.

Mais le film Louis-Ferdinand Céline, en focalisant uniquement sur cet épisode, donne un résultat figé et étrangement conventionnel (alors que le sujet est brûlant), dans lequel le puissant Denis Lavant prend littéralement (sans vouloir faire de jeu de mots) tout l'espace, poussant son jeu jusqu'à la caricature par moments.

Et l'on voit Céline geignant, se traînant avec sa canne, dansant et jouant du piano dans la nuit... Mais si Lavant surjoue, c'est peut-être aussi parce que le personnage Céline surjoue, qu'il en fait des tas pour séduire ce jeune étudiant qui lui tape visiblement sur les nerfs. Aussi misanthrope qu'il est antisémite, tout est forcé dans sa gentillesse, sauf lorsqu'il soigne et que le médecin apparaît en lui.

Disons que la partition dévolue à l'acteur n'est pas des plus faciles et Philip Desmeules en Hindus fait ce qu'il peut devant ce monstre - autant Lavant que Céline. Quant à Géraldine Pailhas, son interprétation de Lucette est impeccable ; elle est celle, lucide, qui comprend tout et tente en vain d'éviter le désastre par des regards intenses et désespérés à son mari, toujours au bord de laisser éclater sa rage - et elle éclatera.

Céline déverse, comme un fleuve trop contenu qui sort de son lit, ce délire paranoïaque qu'on retrouve chez tous les racistes convaincus, entre aveuglement volontaire, pathétiques théories du complot, complexe de persécution et humour misérable.

Les lecteurs de Louis-Ferdinand Céline ne sortiront pas de ce film avec une nouvelle vision de l'homme, qui demeure un être de paradoxes extrêmes, ici condensés en 1 h 37 min, ce qui évacue un peu la complexité du personnage. Pour les néophytes, par contre, cet épisode précis peut avoir quelque chose d'intéressant, avant de s'attaquer à la seule chose qui vaille la peine : l'oeuvre.

Louis-Ferdinand Céline ***. D'Emmanuel Bourdieu. Avec Denis Lavant, Géraldine Pailhas et Philip Desmeules. 1 h 37.

IMAGE FOURNIE PAR AXIA FILMS

Louis-Ferdinand Céline

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Géraldine Pailhas offre une interprétation impeccable de Lucette, la femme de Louis-Ferdinand Céline, joué par Denis Lavant.