On assiste à la naissance d'un cinéaste. Vraiment. Avec The Witch, Robert Eggers, rompu à la direction artistique au théâtre, fait une entrée remarquable dans le septième art. Tourné dans le nord de l'Ontario, le film d'horreur qu'il a écrit et réalisé est une réussite sur absolument tous les plans.

Dans son esthétique renversante. Dans son interprétation, immensément juste. Dans son ambiguïté, sciemment cultivée. Dans sa trame sonore, qui dissone à escient. Dans sa direction photo, qui sublime l'éclairage naturel. Dans le soin à peine concevable apporté aux détails - que ce soient les costumes, les accessoires, les décors, mais aussi les comportements et la langue.

Oui, on est devant un film d'horreur. Mais plus dans la lignée de The Shining que de Saw ou Halloween.

En fait, bien que l'on soit ici dans une autre époque et que l'on joue sur un autre thème, l'atmosphère rappelle celle du Ruban blanc de Michael Haneke - entre autres à cause du rôle viscéralement inquiétant qu'y jouent des enfants, et qui est annonciateur d'un drame plus vaste que celui, familial, exploré dans l'oeuvre.

Nous sommes en Nouvelle-Angleterre, en 1630 - donc une soixantaine d'années avant la chasse aux sorcières qui sera menée à Salem. Expulsée de sa communauté, une famille s'installe à l'orée d'une forêt sur laquelle courent de sombres rumeurs.

Mais, bon, n'a-t-elle pas la protection de Dieu? Peut-être. Sauf que bientôt, le sort s'acharne sur elle. La chasse ne donne rien. Les récoltes sont fichues. Et, pire, alors que l'aînée, Thomassin (Anya Taylor-Joy, une révélation), joue à coucou dans le champ avec le bébé, le tout-petit disparaît. Elle ferme les yeux. Les rouvre une seconde plus tard. Il ne reste que les langes de Samuel.

Cauchemar ou réalité?

L'ombre de la sorcière, de l'épouse du diable, s'abat alors sur le clan. Qui se disloque sous la suspicion, les accusations. Et sans que le spectateur ne puisse vraiment trancher: assiste-t-il à un délire alimenté par le joug religieux ou à l'emprise réelle du Mal?

Peu importe, le résultat joue avec les pulsions primaires (la sexualité, entre autres) et des symboles ancrés en nous et dans l'histoire. En provoquant le malaise et en cultivant l'incertitude, il terrifie. Par la présence d'un inquiétant bouc noir et les dissonances de la trame sonore. Par le réalisme de la reconstitution d'époque et par le choix des interprètes: Ralph Ineson et Kate Dickie sont les parents, maigres et hâves, corsetés et éteints dans la religiosité, Anya Taylor-Joy et Harvey Scrimshaw sont les adolescents, aux prises avec des pulsions inconnues qu'on peut si aisément associer au Mal, Ellie Grainger et Lucas Dawson sont les enfants, avec leur silhouette replète et leurs rires hystériques follement inquiétants.

Bref, avec sa tension qui se tend graduellement du début à la fin, son atmosphère étrange et oppressante, son approche volontairement austère, sa direction stylisée et maîtrisée, sa beauté hallucinante, The Witch est simplement ensorcelant.

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DRAME D'HORREUR. The Witch (V.F.: La sorcière). De Robert Eggers. Avec Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie et Harvey Scrimshaw. 1h32.

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Image fournie par A24/Remstar

The Witch