Pour bien paraître en société, chez les gens avisés, il convient de considérer l'oeuvre de Luc Besson avec hauteur et dédain. Le cinéaste l'a un peu cherché, lui qui méprise ouvertement la critique (laquelle n'a pas toujours tort de lui chercher des poux). Qu'importent les malentendus, Besson a fait beaucoup pour l'émancipation d'un cinéma français populaire de qualité: il existe bien un «style Besson» et la filmographie de cet artiste compte beaucoup de bons coups. La critique, nécessairement exigeante, lui reproche principalement cette tare: l'immaturité. Besson, scénariste et producteur hyperactif, semble incapable de réaliser un film vraiment adulte, comme s'il en était resté à concrétiser encore et toujours ses rêveries de gamin, ce qu'il fait une fois de plus dans ce nouvel Angel-A, autre projet issu de ses inépuisables fonds de tiroirs (comme l'était Le cinquième élément, dont il avait écrit les bases du scénario à l'adolescence). Besson est un auteur véritable en ce sens qu'on reconnaît facilement sa griffe. Mais ses «propos», ses «messages» répétés sur l'amour, la dureté de la vie, et sa vision de l'idéal féminin sujet de prédilection demeurent infantiles. On dira même qu'il parle de la femme comme en parlerait un puceau.

Toujours belle, castratrice dans Nikita, extraterrestre dans Le cinquième élément, illuminée dans Jeanne d'Arc, accessoire dans Le grand bleu, préadolescente dans Léon, la femme relève toujours pour Besson du pur phantasme: la force et la sensibilité dans un corps de mannequin. Voici maintenant la femme fait ange, littéralement, dans cet Angel-A au titre qui révèle tout. André, un pauvre type sans le sou, endetté et recherché par divers filous de la pègre (Jamel Debbouze, touchant) est sauvé de la mort in extremis par une splendide jeune femme à l'accent insolite (danoise Rie Rasmussen).

On comprendra assez vite que cette créature est venue directement des cieux pour mener à bien sa nouvelle mission : sauver André. Après quelques mésaventures cocasses entrecoupées de conversation ésotériques dignes du bavardage cégépien sur la nature du bonheur et les mérites de la sincérité, André et l'ange tomberont amoureux l'un de l'autre.

Besson dirait peut-être qu'il s'agit là de son film le plus «intimiste, le plus épuré, le moins extravagant. De fait, Angel-A, même si l'on y reconnaît Besson dans chaque plan, dans chaque réplique, propose ici une oeuvre voulue élégante (le noir et blanc, pour d'obscures raisons, impose un respect spontané) et dépouillée (aucun excès de violence, peu ou pas de cascades spectaculaires). C'est une comédie romantique admirablement mise en images, mais nunuche et cucul, enfin d'une niaiserie embarrassante. Besson menace (ou promet, c'est selon) de laisser définitivement tomber la réalisation pour s'occuper, entre autres choses, de causes humanitaires. On lui demanderait, avant de partir, de se livrer à un dernier combat: réaliser LE film de Besson, l'homme d'âge mûr.
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* * 1/2

Angel-A, comédie dramatique de Luc Besson. Avec Jamel Debbouze, Rie Rasmussen, Gilbert Melki.

Un pauvre diable au bord du suicide rencontre un ange, sous la forme d'une superbe femme à la taille de guêpe et aux jambes infinies.

Un très beau film, réalisé par un maître de l'image doublé d'un ado attardé. Luc Besson ne veut pas vieillir.