La démarche artistique force l'admiration. À 76 ans, l'acteur cinéaste Clint Eastwood s'attaque à son plus ambitieux projet de réalisation: une évocation de la bataille d'Iwo Jima, l'une des plus sanglantes à laquelle a participé l'armée américaine pendant la Deuxième Guerre mondiale racontée en deux films. Le premier, Flags of our Fathers, fait écho au point de vue américain; le second, Letters from Iwo Jima (à l'affiche l'an prochain), montrera la bataille telle que l'ont vécue les Japonais.

Sur papier, cette idée est bien entendu formidable. Dans la pratique, il n'est pas dit que cette approche soit la meilleure. Si Flags of our Fathers impressionne par la qualité de sa reconstitution, il émane tout de même de ce premier volet un sentiment d'inconfort, qui résulte de l'absence d'une grosse pièce pour compléter le puzzle.

Eastwood, qui n'a jamais filmé pour ne rien dire, pose quand même un regard d'une grande pertinence en questionnant le besoin viscéral qu'éprouve une société de se créer des héros. Quand les autorités américaines découvrent la puissance évocatrice d'une photo captée à Iwo Jima par Joe Rosenthal le 23 février 1945, dans laquelle on voit six soldats en train de planter le drapeau américain sur le mont Suribachi, la machine s'emballe. Les trois soldats survivants apparaissant sur la photo sont ainsi vite rapatriés au pays afin d'être traités en héros, histoire de fouetter l'ardeur populaire et de renflouer les coffres du gouvernement avec la vente de «bons de la victoire».

Dans un premier temps, Eastwood s'attarde à décrire le caractère brutal des combats quand les troupes américaines envahissent la petite île du Pacifique. Un massacre qui n'est pas sans rappeler la fameuse scène du Jour J de Saving Private Ryan de Spielberg, qui agit d'ailleurs ici en tant que producteur. Eastwood prend toutefois bien soin de ne donner aucun aspect sensationnel à ses images. Celles-ci, magnifiquement composées par Tom Stern (Mystic River, Million Dollar Baby), empruntent d'ailleurs dans cette partie des tons monochromes.

Le scénario, écrit par William Boyles fils et Paul Harris (d'après le livre de James Bradley et Ron Powers), s'attarde ensuite à décrire les difficultés qu'éprouvent les trois «héros» à leur retour au pays. Le récit est ponctué de nombreux retours en arrière, plusieurs des situations dans lesquelles les personnages sont plongés ne leur rappelant que trop les horreurs dont ils ont été les témoins. Eastwood fera aussi écho au sentiment d'usurpation qui habite des jeunes hommes qui estiment que les véritables héros sont plutôt les camarades ayant laissé leur vie dans les sables noirs d'Iwo Jima. Ryan Philippe, Jesse Bradford, et Adam Beach, particulièrement bon dans le rôle d'Ira Hayes (le soldat autochtone), offrent à cet égard de solides prestations.

Si on admire la démarche, on restera toutefois perplexe devant le caractère appuyé de la démonstration. Eastwood, un cinéaste qui privilégie habituellement une approche très sobre, sort cette fois le grand jeu avec force violons et envolées patriotiques. L'effet de cet excès de sentimentalisme est d'autant plus dévastateur qu'il vient bien près de gâcher l'impact d'un film qui affiche par ailleurs d'indéniables qualités. Il faudra toutefois attendre Letters from Iwo Jima pour se faire une idée plus juste de l'ensemble.

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FLAGS OF OUR FATHERS(V.F.: MÉMOIRESDE NOS PÈRES), drame historique réalisé par Clint Eastwood. Avec Ryan Phillipe, Adam Beach, Jesse Bradford, Bryan Pepper. 2h12.

En 1945, trois survivants de la bataille d'Iwo Jima deviennent les instruments d'une machine à propagande lors de leur retour en Amérique.

Une réalisation de qualité, presque gâchée par des excès de sentimentalisme.