Il n'est pas du tout étonnant que Jean-Pierre Darroussin ait finalement choisi de camper lui-même le personnage principal du premier long métrage dont il signe la réalisation. À travers l'univers de l'auteur Emmanuel Bove, dont il adapte ici le roman Le pressentiment, on sent bien les préoccupations artistiques d'un acteur qui a toujours préféré l'approche plus subtile à l'esbroufe.

Darroussin se glisse ainsi subrepticement dans la peau de Charles, un avocat qui, sciemment, décide de se retrancher de son milieu bourgeois pour se laisser flotter dans le monde. En lâchant ainsi ses peaux, l'homme jette sur son nouvel environnement un regard un peu oblique. C'est en tout cas cette perspective qu'empruntera l'acteur cinéaste pour entraîner le spectateur dans une espèce de fable sociale au centre de laquelle figure un être qui, sans être complètement détaché, choisira d'observer le monde passivement pendant que tous s'agitent autour.

Là réside, d'ailleurs, l'une des plus belles réussites de ce film au ton singulier dans lequel on cultive bellement le paradoxe. Darroussin a en effet su traduire à la fois la tendresse que l'auteur Bove éprouve pour les gens du milieu populaire qu'il décrit, tout en posant sur eux un regard totalement dénué de complaisance. Interprété par des acteurs impeccables, le récit ne cherche en outre pas à «excuser» la mesquinerie, les petites lâchetés, et les jugements péremptoires et simplistes de certains personnages.

Avançant sur quelques terrains plus délicats (l'avocat recueille notamment chez lui une adolescente en détresse), Darrousin parvient aussi - non sans humour parfois - à traduire l'espèce de vide intérieur de son personnage. Qui tente de s'accrocher à de nouveaux repères, sans toutefois en connaître leur véritable nature.

Si le spectateur partage un peu au départ l'incrédulité des proches de Charles face à ce changement de vie radical, il sera progressivement amené à comprendre - et même peut-être à envier - le parcours de cet homme. Courageusement, Charles a choisi de ne plus souscrire aux conventions, ni d'utiliser de faux semblants pour se dépêtrer dans les codes de la vie socialement acceptable. Comme quelqu'un qui n'aurait plus envie de contribuer à l'aspect factice de la comédie humaine.

Du coup, Darroussin accouche d'un film intrigant, qui distille un charme aussi élégant que trouble, et qui possède la très grande qualité de remettre en cause le confort des idées reçues. De surcroît, Le pressentiment nous révèle la griffe d'un authentique cinéaste qu'on aura désormais grand plaisir à suivre.

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LE PRESSENTIMENT. Drame réalisé par Jean-Pierre Darroussin. Avec Jean-Pierre Darroussin, Valérie Stroh, Amandine Jannin.

Au grand dam de son entourage, un avocat quitte son confort bourgeois pour aller s'installer dans un quartier populaire de Paris.

Un charme aussi élégant que trouble. Une réussite.