En argot, les mots pour qualifier Jean-Marc Thomas (Laurent Lucas, moustachu) commencent par la lettre «b». Baltringue, branquignole, ou bras cassé, l'ex-joueur de soccer traverse Montréal et ses longues journées d'hiver en vivant d'ennui et de mauvais coups.

En poésie, on dirait de l'homme qu'il est blessé depuis la disparition de sa compagne d'origine québécoise, Mélanie (fantasmatique et fantasmagorique Isabelle Blais), qu'il n'a pas su aimer. Sa carrière et ses amis ont foutu le camp en même temps que ses rêves, alors Jean-Marc Thomas a troqué Monaco pour Montréal, où il traîne son spleen et sa culpabilité en souvenir de Mélanie.

Jean-Marc Thomas vit dans une déchéance certaine à Montréal: un appartement vide, des souvenirs pleins la tête, l'envie de ne rien faire. Michel (Pierre-Luc Brillant), une petite frappe guère plus inspirée que lui côté mauvais coups, traverse ce quotidien en proposant à Jean-Marc des «plans». Voilà pour la toile de fond.

Quant à l'intrigue, tout pourrait basculer quand Michel amène Jean-Marc Thomas sur la trace d'un juteux contrat visant à abattre un improbable Italo-Russe, Igor Rizzi. Tout pourrait aussi changer quand une jeune femme sortie de nulle part choisit de passer de vie à trépas dans le salon de Jean-Marc Thomas. Tout pourrait se gâter quand un mystérieux flic, Gérard McCoy (Emmanuel Bilodeau), se met sur la trace de Jean-Marc Thomas.

Ou rien ne pourrait basculer, arriver ou se gâter, tant le réalisateur Noël Mitrani se place du côté de l'image et d'un loufoque poétique plutôt que du rebondissement en série et de l'intrigue à tout prix.

Poésie? Image? Dès les premiers plans, Sur la trace d'Igor Rizzi imprègne dans la rétine de son spectateur l'image - trop rare - d'un Montréal rétro, américain et québécois. C'est d'abord le Montréal de la neige, le Montréal de l'espace des voies ferrées le long du fleuve. Le Montréal des ruelles du Plateau et de la Petite-Patrie plutôt que celui des grands immeubles, le Montréal d'Ameublement Elvis et de la poutine plutôt que celui du Centre Eaton et des restos du boulevard Saint-Laurent.

À la façon du Wim Wenders de Paris, Texas ou de Don't Come Knocking, Noël Mitrani installe ses personnages dans des voitures kitsch, les vêtit de vestes des années 80, de casquettes en peau de castor, de manteaux de fourrure. Qu'ils courent seuls derrière des balles de soccer, jouent du sécateur en plein mois de février, ou coursent des assassins en robe de chambre, bottes de neige, la brosse à dent calée dans la bouche, les personnages de Mitrani flirtent avec l'absurde plus qu'avec le glauque.

Bien sûr, il y a Laurent Lucas (Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming, Haut les coeurs) qui donne à Jean-Marc Thomas sa pleine mesure, sa pleine démesure. Bien sûr, il y a un Pierre-Luc Brillant (C.R.A.Z.Y.) renfrogné et décomplexé. Bien sûr, il y a Emmanuel Bilodeau capable de ponctuer ses phrases d'ineptes «Thanks Jesus».

Mais il y a aussi le talent indéniable de Noël Mitrani, capable de diriger, - presque - sans un rond tout ce beau monde-là en plein mois de février. Il y a dans Sur la trace d'Igor Rizzi un réel talent pour écrire des dialogues braques, construire avec chaque plan une histoire et nimber le tout de la couleur des souvenirs.

Alors oui, on peut trouver que l'histoire s'égare, que la perche a un peu tendance à border le haut des plans de certaines scènes. Reste que Noël Mitrani, débarqué il y a à peine trois ans au Québec, trouve, dès son premier long métrage, tourné avec les moyens du bord, un regard cinématographique d'une maturité surprenante. Un talent à suivre.

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* * * 1/2

SUR LA TRACE D'IGOR RIZZI, comédie dramatique de Noël Mitrani. Avec Laurent Lucas, Pierre-Luc Brillant, Emmanuel Bilodeau, Isabelle Blais.

Un ex-joueur de soccer français vit à Montréal, hanté par le souvenir de sa femme. Son quotidien oscille entre l'ennui et l'absurde, quand un autre bras cassé,Michel, lui propose un contrat foireux : abattre un certain Igor Rizzi.

Une vision personnelle, artistique et sensible de Noël Mitrani, qui, pour son premier long métrage, frappe haut, et fort.