S'il était entrepreneur, le père Emmett Johns, dit Pops, serait sans doute riche. En 1988, le saint homme ouvre, avec 10 000 $, une roulotte pour les jeunes de la rue. Pour faire face à la demande, il décline le concept : un toit pour la nuit (le Bunker), un centre de jour (Chez Pops), une école alternative, une clinique vétérinaire.

N'allez pas croire que l'homme d'église soit mauvais en comptabilité. Le budget de sa petite entreprise, Le bon Dieu dans la rue, avoisine 3 millions. Sans un cent du gouvernement. Et sans que ses «donateurs» ne perçoivent en retour un cent de leur «investissement». Aujourd'hui, Le bon Dieu s'exporte, mondialisation oblige. Russie, Côte d'Ivoire, Haïti, le Salvador. La pauvreté et la détresse sont un marché en pleine croissance.

Mais voilà. Le père Emmett Johns n'est pas un entrepreneur. Ce père des enfants de la rue est plutôt un saint. Ami et confident, il est l'épaule sur laquelle on peut venir se pencher. L'oreille à laquelle confier ses malheurs, parler de ses enfants dont on a perdu la garde, ou d'un virus attrapé on ne sait comment.

Difficile de faire un mauvais documentaire quand celui-ci a pour objet Pops, tant le père nous réconcilierait avec n'importe quelle religion. La réalisatrice Marie-Julie Dallaire et la scénariste Andrée Blais font un portrait de cette figure bien connue de montréalais, avec justesse, finesse et intelligence.

Ce n'est pas du «Pops tel que vous ne l'avez jamais imaginé» que l'on a à voir, mais des tranches de vie qu'elles observent et nous invitent à partager. Pendant 52 minutes, le prêtre humaniste met en pratique les dogmes religieux. C'est une oreille qui jamais ne juge, jamais ne cède, jamais ne se vante, jamais ne se plaint.

La caméra se fait subtile (au risque de délaisser un peu trop la contextualisation). Pendant plus d'une année, Marie-Julie Dallaire et Andrée Blais se sont fait adopter par les habitués de chez Pops avant de sortir la caméra, ce qui explique leur sincérité face à une caméra qui se laisse oublier.

Défilent devant la caméra des jeunes écorchés, qui dévoilent un peu d'eux-mêmes, sans populisme ni misérabilisme. On est proche de l'observation en sciences sociales, et surtout très près d'un portrait grandeur nature de l'homme. Fait pour la télévision (il sera diffusé le 16 décembre à Télé-Québec), Notre père se tient loin des reportages traditionnels, et se laisse aimer sur grand écran.

Les scènes qui constituent le corps du documentaire sont frappantes d'humanité et de justesse. Il n'y a pas de grandiloquence, d'effets, de dramatisation. C'est brut, et cela laisse la place à l'homme et ses ouailles (ou son «harem», comme il le dit en plaisantant). Bref, c'est un peu de la bonté humaine de Pops et de ses jeunes qui nous atteint, en plein cur.

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Notre Père, Documentaire de Marie-Julie Dallaire et Andrée Blais.
52 minutes dans la vie d'un Saint, le père Emmett Johns, dit Pops
Un documentaire contemplatif, humain et juste