«Recherche hommes pour voyage périlleux, paye médiocre, froid intense, obscurité totale pendant de longs mois, danger constant. Retour probable sain et sauf peu probable. Gloire et honneur en cas de succès.»

La petite histoire raconte que c’est par une petite annonce parue dans un journal anglais, en 1914, que Sir Ernest Shackleton a recruté les membres d’équipage de son expédition en Antarctique, à bord du trois mâts Endurance. Vingt-sept hommes choisis parmi 5000 candidats. Malgré les mises en garde, aucun ne réalisait les terribles épreuves qui les attendaient sur le continent le plus austère de la planète.

Le fascinant documentaire de George Butler, L’Endurance (v.f. de The Endurance : Shackleton’s Legendary Antarctic Expedition) relate ce voyage unique, considéré comme «l’un des plus grandes aventures maritimes contemporaines».

Impossible de ne pas tracer un parallèle entre ce film et l’expédition du Sedna IV, relaté dans le documentaire à succès Le dernier continent. Si Jean Lemire et son équipage ne l’ont pas eue facile, malgré des équipements autrement plus sophistiqués, imaginez un voyage en Antarctique avec les moyens de fortune du début du siècle. Dans ce contexte, l’exploit de Shackleton et de ses hommes prend une dimension quasi mytique.

À travers les témoignages de quelques descendants des membres d’équipage, ainsi que des photos et extraits de journal de bord de Shackleton, ce documentaire entraîne le spectateur au cœur d’un périple méconnu qui, près d’un siècle plus tard, suscite une admiration sans bornes lorsqu’on en découvre les dessous.

Shackelton avait échoué deux fois auparavant dans son projet de joindre l’Antarctique. Roald Amundsen l’avait coiffé au poteau en 1911. Celui qu’on avait surnommé «Le Boss» avait alors 40 ans. Cette expédition était celle de la dernière chance. Elle visait à atteindre le «dernier continent» à pied, en passant par le pôle, une odyssée de plus de 3000 km.

Désespoir et douleur

Rien ne se déroula comme prévu. La suite des choses sera faite de désespoir et de douleurs.

L’Endurance retenu prisonnier des glaces, l’équipage marcha pendant des jours dans un désert blanc, en tirant un canot de sept mètres, avant de passer cinq mois à la dérive pour atteindre l’île de l’Éléphant. Il y avait alors un an et quatre mois que l’équipage n’avait pas touché la terre ferme.

Émaciés, frigorifiés et affamés — les seules vivres quotidiennes consistaient en une boisson chaude et un biscuit —  les survivants n’étaient pas au bout de leurs peines.

Leur seul espoir résidait dans l’atteinte de l’île de Géorgie du Sud. Shackleton et cinq de ses hommes les plus résistants reprirent la mer pendant 17 autres jours. Rendus à destination, comme si ce n’était pas suffisant, ils marchèrent pendant 36 heures pour joindre le côté habité de l’île.

Le 30 août 1916, après quatre tentatives de sauvetage, le valeureux capitaine retrouvait les 22 hommes laissés derrière lui. Tous avaient survécu. Un miracle.

À son retour en Angleterre, en mai 1917, l’équipage de l’Endurance n’a pas été accueilli en héros. La Première Guerre mondiale faisait alors rage. Les véritables héros étaient au front et dans les tranchées, pas sur les glaces de l’Antarctique. Oubliez la «gloire et l’honneur» promis dans la petite annonce, trois ans plus tôt.

Le documentaire de Butler remet l’exploit dans sa juste perspective. Un fabuleux hommage à un dépassement de soi, à une leçon de courage et d’héroïsme qui transcende les époques. Si Shackleton et ses hommes n’ont pas été des héros, on se demande bien qui pourrait revendiquer le titre.