Le documentaire Ligne ouverte porte, évidemment, sur ce qu'on appelle plus froidement les tribunes téléphoniques. Mais la première formulation, «ligne ouverte», est beaucoup plus porteuse de sens, de poésie, et pousse à la réflexion, à l'image de ce merveilleux film de Karina Goma, qui a pondu un vrai bijou.

On s'intéresse ici au monde à la fois bizarre et banal des forums radiophoniques, de ces gens, souvent modérateurs, qui les animent, et de ceux qui y participent. Des émissions de nuit, le plus souvent, où le peuple exprime, parfois sans retenue, ses opinions sur l'actualité, sur les sujets de l'heure ou, dérapant un peu, sur les aléas de leur vie intime. Les amateurs de ce genre de radio «populaire» et interactive seront très heureux de voir en personne le célèbre André Pelletier qui, depuis des ans, s'occupe nuitamment de consoler et divertir les masses fatiguées ou insomniaques.

 

Goma a fait ici de l'art et du grand, à partir d'un lieu commun, à partir de presque rien; d'un sujet qui, entre d'autres mains, aurait eu valeur de reportage. Chaque plan, chaque image, sont recherchés, travaillés, jusque dans les moindres détails. Le montage sonore est exceptionnel. Et les entretiens, intimes et naturels, Goma (qui n'impose aucune narration) laissant tout l'espace à ses interlocuteurs, des fanas de tribunes, des animateurs, tant à Montréal que dans ce qu'on appelle encore les régions. On sait l'importance de la radio locale dans les secteurs ruraux, où il n'est pas question du prochain spectacle d'Arcade Fire, mais de choses «ordinaires et vitales» comme la chasse, l'agriculture ou la coupe du bois.

Cette radio est menacée, mais Goma ne fait pas de son film un pamphlet, elle préfère laisser le micro aux autres avec une délicatesse remarquable. Ses images disent ce qu'ont veut y voir ou y lire, aux spectateurs l'embarras de «se faire une opinion». Non, Jeff Fillion et ces trublions embarrassants qui empestent les ondes n'y sont ni défendus ni dénoncés. Ils brillent de leur brune aura par leur absence. Goma les ignore, s'intéressant davantage au médium, à ses fanas et à ses artisans qu'aux hauts et bas du scandale médiatique et de la plate rumeur, et c'est tout à son honneur. Seul reproche: c'est trop court.

 

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Ligne ouverte. Documentaire de Karina Goma. 52 minutes.

Les univers à la fois banals et insolites des animateurs de tribunes téléphoniques et, surtout, de leurs adeptes.

Documentaire d'une beauté, d'une intelligence et d'un tact qui font du bien.