Les voies de la distribution des films sont comme celles de Dieu: impénétrables. Le cas de Ne dis rien en est un bel exemple. Tourné il y a six ans, l'excellent long-métrage de l'Espagnole Iciar Bollain n'avait jamais réussi à se frayer un chemin jusqu'à nos écrans.

Il aurait été dommage que les cinéphiles soient privés de ce drame fort et bouleversant, lauréat de plusieurs Goya (les Oscars du cinéma espagnol), dont celui du meilleur film, du meilleur scénario et du doublé meilleure interprétation féminine-masculine. Le Cartier le propose jusqu'à la fin du mois dans sa version originale espagnole avec sous-titres français.

Ne dis rien (Tey doy mis ojos) aborde avec intelligence, sans verser dans le pathos et la facilité, le thème délicat de la violence conjugale. Avec une grande empathie à l'égard d'un couple à la vie ordinaire, coincé dans cet engrenage, la réalisatrice invente une descente bouleversante au coeur de l'amour blessé, rudoyé, humilié.

N'en pouvant plus de la violence de son mari à son égard, Pillar (Laia Marull) décide de trouver refuge avec son gamin chez sa soeur (Candela Pena) en plein milieu de la nuit. La coupe est pleine. Son mari, Antonio (Luis Tosar), a fini de lui faire vivre un calvaire. Sa soeur (Candela Pena), très attentionnée et soucieuse de son sort, approuve totalement sa décision.

C'est sans compter le retour dans le décor du mari qui promet de changer. Vient cogner à sa porte, lui envoie des fleurs, des bijoux. Sa participation à un atelier pour hommes violents confirmerait son nouvel état d'esprit. La fragile Pillar, qui commence à voler de ses propres ailes grâce à un petit boulot de guide dans un musée, accepte de lui donner une autre chance et de reprendre la cohabitation. Son homme a-t-il vraiment changé?

La mécanique de la violence conjugale est décortiquée avec tact dans Ne dis rien. En plus de brosser le portrait d'une femme qui tente de redonner un sens à sa vie, la réalisatrice évite de porter un jugement sur le mari violent. Cette rage intérieure, prête à exploser à la moindre contrariété, il est le premier à vouloir s'en guérir. Mais le peut-il vraiment?

Iciar Bollain expose de façon brutale la traversée du désert de ces deux personnages meurtris, qui tentent tant bien que mal de recoller les morceaux d'un amour qui tient à bien peu, sinon au passé. À l'exception du côté pédagogique (style Janette Bertrand dans Avec un grand A) des ateliers pour hommes en crise, son drame coule de source, entre malaise, brutalité et espoirs déçus. Laia Marull, en épouse meurtrie mais courageuse, et Luis Tosar, en mari bombe à retardement, confèrent à ce film une troublante authenticité.

Au générique

Cote : ***1/2

Titre : Ne dis rien

Genre : drame

Réalisateur : Iciar Bollain

Acteurs : Laia Marull, Luis Tosar, Candela Pena, Rosa Maria Sarda, Sergi Calleja et Elisabet Gelabert

Salle : Cartier (version originale espagnole avec sous-titres français)

Classement : 13 ans

Durée : 1h46

On aime : le jeu inspiré des deux comédiens principaux, le thème abordé avec intelligence

On n'aime pas : le petit côté pédagogique des ateliers pour hommes violents