Le cinéaste Marius Holst s'est inspiré d'une tragédie norvégienne pour Les révoltés de l'île du diable. Mais cette histoire de violence et d'abus d'autorité s'avère tristement d'actualité.  

L'événement s'est réellement déroulé dans la petite île de Bastøy, près d'Oslo, en 1915, et pourtant le récit mis en scène par le cinéaste norvégien Marius Holst est malheureusement encore d'actualité. «J'en discutais récemment avec des journalistes américains qui me disaient: «Mais ton histoire, c'est presque celle de Penn State University!»», dit Holst, joint chez lui dans l'hiver norvégien.

Dans la région, tout le monde avait déjà entendu parler de l'école de réforme de l'île de Bastøy», assure Holst. Le décor gris, aride, sinistre et enneigé si bellement photographié par le cinéaste est typiquement scandinave, mais les lieux, eux, ont existé partout au début du XXe siècle. Moitié école, moitié prison, celle-là destinée aux mineurs accusés de crimes allant du meurtre - c'est le cas d'un des protagonistes du film - à celui d'être simplement né dans la mauvaise famille.

Cette école était presque devenue légendaire, explique Holst, notamment parce qu'elle a existé jusqu'au début des années 70. Évidemment, après la révolte, les pratiques de l'institut avaient été révisées, mais l'endroit demeurait néanmoins très strict.»

Le film débute avec l'internement de deux nouveaux pensionnaires, dont Erling, matricule C19, interprété par un jeune inconnu nommé Benjamin Helstad.

Helstad, comme les interprètes de ses voisins de dortoir C1 (Olaf, joué par Trond Nilssen) et C5 (Ivar, par Magnus Langlete), en était à ses premières armes au cinéma. Le réalisateur a eu du flair, parce que les trois crèvent l'écran, livrant des performances absolument soufflantes. Marius Holst a auditionné près d'un millier de jeunes Norvégiens avant de trouver son casting parfait.

Ce n'est pas de la chance, car on a mis beaucoup d'efforts pour trouver ces garçons, explique-t-il. Plus précisément, j'ai cherché des jeunes qui avaient vécu une enfance difficile, connu le système social. Pour qu'ils puissent se reconnaître un peu dans leur rôle. Pour qu'ils puissent jouer avec le plus de naturel possible.»  

D'une triste actualité

Le travail des jeunes acteurs est d'autant plus remarquable que l'histoire, elle, est difficile. On est très loin des bons sentiments d'un Shawshank Redemption, disons. Les jeunes pensionnaires de l'école de réforme doivent se soumettre à des travaux manuels exigeants sous la gouverne d'un directeur de prison rigoureux, mais investi de la mission de faire de ces délinquants des hommes droits, prêts à être réintégrés dans la société (il est joué par Stellan Skarsgard).

Mais le directeur de dortoir Braaten (terrible Kristoffer Joner), lui, y va de sa propre méthode... Les agressions sexuelles ne sont ici que suggérées, mais le spectateur, comme le reste de la population de Bastøy, comprend vite la gravité de la situation, qui dégénère en révolte sanguinaire.

Tous savaient que des sévices sexuels y avaient cours, mais très peu de gens savaient que l'armée norvégienne avait dû intervenir pour mater la rébellion. Lorsque j'ai découvert, en faisant ma recherche, que l'armée avait dû débarquer dans l'île, j'étais moi-même stupéfait. L'incident avait complètement disparu de la mémoire collective.»

Ce qui l'a poussé à réaliser ce film, c'est le lien qu'il a trouvé entre cette institution et l'actualité: «Chaque année, il y a une nouvelle histoire d'agressions sexuelles dans des écoles, des gymnases et, chaque fois, c'est une question de pouvoir d'une autorité sur une personne vulnérable. Très souvent, lorsque ces histoires sont révélées au grand jour, on apprend qu'un individu plus puissant encore, plus haut encore dans la hiérarchie, tentait d'étouffer l'affaire. Comme dans le cas du scandale de Penn State.»  

Rappelons qu'un ancien coordonnateur défensif de l'équipe de football de l'Université Penn State, aux États-Unis, a été accusé l'an dernier d'avoir agressé sexuellement huit jeunes garçons. Il a ensuite été révélé que le défunt entraîneur-vedette Joe Paterno avait été alerté des gestes de l'agresseur et que des cadres de l'université avaient tenté de couvrir l'affaire.

Question délicate mais inévitable: est-il encore trop tôt pour envisager un regard cinématographique sur la tragédie qui a secoué la Norvège - et la planète entière - l'été dernier? «Oui, d'autant que le procès du tueur n'a pas encore eu lieu, dit Holst. Je ne sais pas si je pourrais m'attaquer à un tel projet, mais je n'ai aucun doute qu'un jour, un film sera tiré de ce drame. Personnellement, je préférerais que ce soit un réalisateur d'ici qui le fasse, parce qu'au-delà de l'acte de l'assassin, il y a les conséquences du drame. Il faut vivre ici pour les comprendre.»