Quoi de mieux qu'une rétrospective pour rendre hommage à Joseph-Albert et Marguerite Lapointe? De 1949 à 1978, dans un Québec pas toujours éclairé, le couple a parcouru le monde pour y cueillir les meilleurs films et les partager avec ses concitoyens.

À travers leur société de distribution, J-A Lapointe Films inc., les Lapointe ont aussi forcé Walt Disney, notamment, à doubler ses films pour le marché québécois.

La Presse a rencontré Marguerite, une grande dame de 90 printemps.

«Quand je fais mon bilan, je me dis que j'ai pas perdu mon temps», dit Marguerite Lapointe doucement. Et d'énumérer ses réussites : «J'ai 90 ans. J'ai eu quatre beaux enfants. J'ai été mariée pendant 38 ans. J'ai eu un bureau pendant 30 ans. J'ai même été jusqu'en Orient. Et aujourd'hui, j'ai sept petits-enfants et 10 arrière petits enfants.»

Chez Marguerite Lapointe, vie privée et vie publique se mêlent et s'influencent. Côté vie privée, il y a son mari, Jospeh-Albert Lapointe, avec qui elle se marie en 1940. Côté vie publique, il y a la société de distribution baptisée de leur nom, qu'ils fondent en 1949.

Le cinéma, Marguerite et Jospeh-Albert y sont venus «petit à petit». «Il n'y en a pas beaucoup qui faisaient notre travail», se souvient-elle. Drôle de métier que de distribuer des films à une époque où le cinéma était pêché mortel et où les «scènes de couchette» disparaissaient sous les coups de ciseaux d'une censure encore plus catholique que le pape.

Aucun anticléricalisme ne pointe cependant dans le discours de Marguerite Lapointe. «Quand on avait des films pour adultes, on enlevait tout ce qui ne plaisait pas aux censeurs», raconte-t-elle. S'il y a un veto dont elle se serait passée, c'est celui que la censure apposa sur Un homme et une femme, de Claude Lelouch, en 1966.

«On était sur le point d'avoir les droits. Mais il y avait une scène de couchette», raconte-t-elle. Le film remporte non seulement la palme d'or à Cannes, mais aussi le prix oecuménique. «Si on l'avait eu, cela aurait tout changé. On aurait été millionnaires. Mais ce n'était pas le temps», affirme-t-elle.

Si la société familiale «ne nourrissait pas son homme», elle a donné de beaux moments à Marguerite et Joseph-Arthur. Parmi eux, le festival de Cannes, où elle se rend de 1961 à 1975, «dans le cinéma du centre-ville». Du cinéma français, les Lapointe ramènent Bresson (Journal d'un curé de campagne) mais aussi Tati (Les vacances de Monsieur Hulot), pour les montrer ici.

Et puis il y a les voyages, qui les mènent jusqu'au Japon. Marguerite se passionne pour son cinéma, et sa langue, qu'elle parle couramment. L'importation dont elle est la plus fière est Kwaïdan de Masaki Kobayachi. Au cinéma japonais, les Lapointe consacrent un festival tout entier dans le Ciné-club qu'ils animaient de l'Hôtel-Dieu jusqu'en 1971.

Comme un ordi

Marguerite Lapointe sourit en repensant à ces années. Sa mémoire infaillible, «ma tête était comme un ordinateur», ses batailles, aux côtés de son époux, pour distribuer des films en version française, - dont les Walt Disney -, les projections dans la maison familiale de Ville Saint-Laurent, équipée, fait rare à l'époque, d'un vrai projecteur.

Et puis, les choses se sont disloquées. Il y a d'abord eu l'arrivée des films à la télé, puis le cambriolage de la maison, en 1976. «On s'est tout fait volé : les projecteurs, les lentilles», regrette-t-elle. Et la maladie, enfin, qui l'emporte sur Joseph-Arthur dès le lendemain de l'un de ses voyages au Japon, en 1978.

«Tout ça c'est fini», constate-t-elle. De Lapointe Films inc., fermé en 1999, restent des films, 200 copies déposées à la Cinémathèque québécoise. Et cet hommage, rendu aux bonnes œuvres de la famille Lapointe pour la cinéphilie québécoise. Mais ça, «c'est un peu trop pour moi», souffle Marguerite Lapointe.

Hommage à J.-A. Lapointe Films inc. à la Cinémathèque québécoise jusqu'au 17 juin. www.cinematheque.qc.ca