Annoncé en grande pompe la semaine dernière, le projet Éléphant de Quebecor, qui vise à rendre accessibles quelque 800 films québécois sur la télé numérique Illico, suscite de vives inquiétudes. Certains craignent même que le projet ne «dérape».

«On ne peut pas être contre la vertu», reconnaît pourtant le président de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), Marc Grégoire, qui trouve l'idée de Quebecor tout à fait louable.

En fait, ce point de vue fait presque l'unanimité auprès des associations d'artistes, des distributeurs, des réalisateurs et des producteurs. Plusieurs d'entre eux déplorent par contre le flou qui entoure le projet, particulièrement dans le dossier des droits d'auteur et des droits de suite. Ils auraient apprécié que Quebecor les consulte avant de faire son annonce.

Autre épineuse question : les distributeurs qui détiennent la plupart du temps les droits sur les longs métrages donneront-ils leur aval à Quebecor afin qu'elle puisse diffuser leurs films? «C'est notre prérogative, répond Patrick Roy, président d'Alliance Atlantis Vivafilm. On n'a aucune obligation.»

«Est-ce qu'on va se retrouver finalement avec une belle idée qui ne fonctionnera pas bien parce qu'on n'a pas pensé à attacher les fils avant de présenter le cadeau? Peut-être», conclut M. Grégoire.

À partir du mois de décembre, de 20 à 25 films, devraient être offerts aux abonnés d'Illico qui paieront à la pièce pour voir ces longs métrages. Quebecor se targue de ne faire aucun profit avec la mise en place de ce «cinéma virtuel». L'entreprise s'engage à verser les profits générés par la diffusion des films aux ayants droit. Or, selon la SARTEC et l'Union des artistes (UDA), plusieurs contrats défavorisent les auteurs et les artistes. Ces dernier ont rarement de droits sur les oeuvres auxquelles ils ont participé et ne peuvent donc pas obtenir leur part du gâteau. Pour remédier au problème, les deux associations souhaitent s'asseoir avec Quebecor afin d'établir des règles spécifiques pour permettre aux artisans de toucher les revenus générés par le projet.

«Il va falloir protéger les vrais droits, souligne M. Grégoire. Sinon, ce que je crains, c'est que ça dérape rapidement et que, finalement, il y ait à peine quelques films qui se retrouvent sur Illico parce qu'on ne sera pas capable de s'entendre sur les droits.»

Raymond Legault, président de l'UDA, va encore plus loin. Il demande que les artistes puissent toucher une portion de l'ensemble des revenus générés par le projet. «Le film en soi sert à vendre d'autres produits», soutient-il. M. Legault estime que Quebecor verra une augmentation de son nombre d'abonnés grâce au projet Éléphant.

L'empire pourrait aussi se heurter à un autre obstacle : les chaînes généralistes. Les télés achètent des droits pour diffuser des films québécois sur une période de cinq ans. À Radio-Canada, par exemple, on a dépensé 25 millions en licences et en investissements pour le cinéma au cours des sept dernières années, informe Francine Allaire, directrice des services dramatiques et longs métrages de la SRC.

Même si elle n'entend pas mettre des bâtons dans les roues de Quebecor, Mme Allaire admet qu'il n'est pas souhaitable qu'un film soit diffusé à Radio-Canada tout en étant disponible sur Illico. «C'est là qu'il faudra s'asseoir, dit-elle. Quand on voudra diffuser, il faudrait qu'on ait une certaine protection.»

De son côté, Quebecor ne semble pas avoir l'intention de s'asseoir avec les syndicats d'artistes ou les producteurs. «Pourquoi on ferait ça? demande Luc Lavoie, vice-président à la direction de l'entreprise. Les processus normaux et tous les contrats en place vont être respectés. Il n'y a pas de négociation particulière à y avoir. On a l'intention d'agir dans le respect de toutes les règles de l'art.»

Concernant les droits de diffusion, Luc Lavoie répond sans hésiter : si Quebecor ne peut offrir un film parce qu'une chaîne en détient les droits, il ne sera pas du projet Éléphant. «On a 800 films au Québec. Ce n'est pas un problème.»