Entre les festivals de Toronto et de Munich, le documentaire Un fleuve humain, de Sylvain L'Espérance prend l'affiche à Montréal. C'est le sixième film de ce cinéaste qui a développé, en près de 20 ans, une des voix les plus intéressantes de notre cinéma documentaire.

Sylvain L'Espérance est un travailleur de liberté. Il fait des films avec peu de moyens mais beaucoup de créativité. Producteur, réalisateur et caméraman pour la première fois avec Un fleuve humain, il assume.

«C'est le fait de réduire au strict minimum l'infrastructure de production qui m'offre plus de liberté. Je peux partir avec 60 000 $ et tourner un film. Avec un premier montage, je peux obtenir un peu d'aide pour la postproduction. Les conditions se sont détériorées mais, je me suis adapté», confie-t-il en entrevue.

Après Les printemps incertains et Le temps qu'il fait, entre autres, Sylvain L'Espérance continue de fouiller le monde à la recherche d'humanité et de poésie. Son oeuvre forme une suite de portraits de survivants qui vaquent, équivoques, dans un environnement en constante mutation.

En filmant le fleuve Niger au Mali, il décrit la beauté et la fragilité du lieu et l'enracinement des gens au bord du fleuve fragilisé.

«Je voulais faire un film reposant sur la parole et la compréhension du territoire. L'idée de la durée est importante. Je voulais que le spectateur ait le sentiment d'être là pour faire l'expérience du lieu», explique-t-il avant d'ajouter : «si on me disait, tu ne vas faire désormais que des films dans le delta du Niger, je n'aurais pas l'impression d'être limité».

Il souhaite d'ailleurs tourner un documentaire sur le musicien disparu, Ali Farka Touré, qui est retourné à la fin de sa vie dans son village natal pour assumer le poste de maire et enregistrer un dernier disque.

Cinéma direct

Son cinéma en est un de respect envers l'objet filmique, mais aussi face à la grande tradition du cinéma direct. Il fait oeuvre de pont solide entre la génération des Perreault, Brault et Groulx et celle des nouveaux documentaristes qui se réapproprient le réel avec les nouvelles technologies.

Le cinéaste croit d'ailleurs au renouveau de notre cinéma documentaire avec des gens comme Catherine Martin, Benoît Pilon et d'autres encore plus jeunes cinéastes.

«Il y a un vrai désir d'explorer de nouvelles voies documentaires. Mais si on pense au travail expérimental de Gilles Groulx, par exemple, on a oublié qu'on était parmi l'avant-garde mondiale à l'époque», dit-il.

Jamais tenté par la fiction, il est venu au cinéma pour parler de réalités complexes, mais sans tomber dans la facilité de montrer du doigt des coupables à tout prix. «Ce que je montre dans mes films, c'est vraiment ma perception des choses. Les gens confondent trop souvent documentaire et éditorial. Le travail d'un auteur de documentaire est beaucoup plus vaste que d'émettre une opinion», souligne-t-il.

L'Afrique

Pourquoi l'Afrique? se fait-il demander encore et toujours. Son avant-dernier film, La main invisible, portait sur la Guinée. «Au départ, je m'intéressais à la production de l'aluminium en partant de la bauxite en Guinée, passant par le Québec et terminant en Chine. Une fois en Guinée, la structure du film s'est transformée. J'avais le goût de parler des Guinéens.»

Même si au Québec, le fait d'avoir tourné en Afrique ne semble pas avoir beaucoup d'intérêt, Un fleuve humain tourne dans les festivals - Paris Nyon, Toronto et Munich - et son auteur ira le montrer lui-même aux Maliens en septembre prochain.

Le film de Sylvain L'Espérance n'a pas encore trouvé de télédiffuseur ici, mais le cinéaste ne s'arrêtera pas là. Il aimerait revenir au Québec puisqu'il se dit «inquiet de l'état de notre nation», mais comme il n'a rien d'un chasseur de clichés, «le sujet finira par s'imposer à moi», conclut-il.