Jean-Claude Labrecque a filmé Charles de Gaulle clamant «Vive le Québec libre!». Il a immortalisé les plus grands poètes québécois. Il a capté l'intensité des athlètes olympiques en 1976 à Montréal et a suivi, pas à pas, un premier ministre dans son ultime défaite. Portrait d'un cinéaste qui a grandi avec le Québec et à qui la profession rendra hommage au prochain gala des Jutra.

Jean-Claude Labrecque n'a jamais eu peur des grandes thématiques, des sujets importants, mais il connaît quelques difficultés à parler de lui. Dans Infiniment Québec, son dernier documentaire, il s'expose plus que jamais. Il comptait laisser les images parler seules, mais il a dû renoncer devant la réaction des premiers spectateurs.

Il ne s'agit pas d'une film de commande pour le 400e anniversaire de la capitale. Le cinéaste a voulu rendre hommage à la ville en parlant de son Québec à lui. Et il le fait, chose inédite dans son corpus, en lisant lui-même le commentaire en voix off.

«Je le trouve difficile un peu ce film. J'ai beaucoup de visuel, des archives extraordinaires. On traite évidemment de la Conquête et ça va jusqu'à nos jours. Je vais en être content, mais il y a encore du travail à faire», avoue le documentariste.

C'est un nouveau défi pour l'artiste de 69 ans. La chose le rend fébrile, tout comme l'attribution du prix Jutra-Hommage, annoncée cette semaine, ou encore son deuxième projet de film en un an, sur Félix Leclerc, avec des archives inédites trouvées en France.

Du coup, on souhaiterait que ce réalisateur qui détient une mémoire phénoménale parle davantage. Du grand Charles, par exemple.

«Je crois que de Gaulle était très conscient de ce qu'il racontait. Il était très inquiet. Il voulait savoir à quelle heure il allait rentrer à Montréal. Il angoissait à partir de Trois-Rivières parce qu'il tenait à avoir la presse internationale», se rappelle le documentariste.

Jean-Claude Labrecque raconte aussi l'enthousiasme de Claude Gauvreau à participer à la toute première Nuit de la poésie; le courage de Bernard Landry à accepter de vivre de sombres heures devant les caméras; et l'émotion qu'il ressent, lui, à revoir son film sur la poète Marie Uguay.

La beauté du documentaire

Malgré des films de fiction incontournables comme Les vautours (1975) et Les années de rêve (1984), les deux avec Gilbert Sicotte, ou L'affaire Coffin (1979), il trouve le genre «rigide et saucissonné». Le documentaire reste sa véritable passion.

«C'est tellement extraordinaire de tourner un documentaire. C'est plein de rebondissements. L'important c'est l'être humain qui est devant toi. On en arrive toujours à des grands moments de solidarité. Les gens devant et derrière la caméra, on fait tous le même film dans le fond», estime-t-il.

Mais le réel a besoin d'être «réalisé», sans être nécessairement mis en scène. La nuit de la poésie a connu cette intensité sur pellicule, dit-il, parce qu'elle a été provoquée. Contrairement à ce que plusieurs ont pensé, le documentaire avait été préparé à l'avance avec, entre autres, quatre caméras et tout l'éclairage nécessaire. Dans un tel cas, le cinéma direct peut-il vraiment exister?

«La caméra provoquera toujours quelque chose. Mais on arrive, après une grande connaissance du personnage, à capter des moments de vérité. La caméra est un catalyseur, elle fait en sorte que les choses se disent plus vite», décrit-il.

Il dit avoir énormément appris en travaillant comme directeur photo pour des cinéastes aussi différents que Claude Jutra, Gilles Carle et Bernard Émond. Il est venu au métier par le biais de la photographie, puis comme cinéaste... de mariages!

La révolution numérique

Après 40 ans d'expérience, les nouvelles technologies ne lui font pas peur non plus. En tant qu'artiste formé au cinéma direct, il sait travailler sans filet. Il a tourné À hauteur d'homme, sur Bernard Landry, en numérique et en toute liberté.

«C'était comme on tournait dans les années 60, lance-t-il. Landry est un homme qui a un langage corporel. Il suffit de bien l'étudier à la caméra. Après 15 jours de tournage intense avec lui, je le connaissais très bien. Je le sentais dans ses gestes.»

En plus d'un instinct sûr, Jean-Claude Labrecque possède une connaissance pratiquement encyclopédique du cinéma québécois. Bon an, mal an, il demeure le cinéaste qui voit le plus de productions d'ici.

«Le cinéma documentaire est en bonne santé. Les films de fiction abordent tous les genres. Pourquoi pas. Mais ce qu'il y a de plus important, c'est qu'on sent clairement, depuis quelques années, que notre cinéma a trouvé son public.»