L’enfance est un monde qui n’a de cesse d’émerveiller Léa Pool. L’enfance, avec ses petites joies et ses grandes peines, mais aussi ses drames qui trouvent souvent leur salut dans le jeu. «Pour moi, ce n’est pas difficile de me mettre dans la peau d’un enfant.»

À la lecture du scénario d’Isabelle Hébert, la réalisatrice d’origine suisse a tout de suite vu dans Maman est chez le coiffeur (en salle la semaine prochaine) des échos personnels à ce récit d’une mère (Céline Bonnier) qui, au milieu de l’été 1966, laisse ses trois enfants derrière elle afin de fuir un mariage malheureux, loin d’un mari qui lui a caché son homosexualité (Laurent Lucas).

Assise au coin du feu, au bar de l’Auberge Saint-Antoine, dans le Vieux-Port, la réalisatrice d’Emporte-moi (1999) et du Papillon bleu (2004) confie au Soleil qu’elle-même a été abandonnée par sa mère. Elle a vécu dans un orphelinat de Genève, de l’âge de six semaines jusqu’à trois ans. Sa mère, apprendra-t-elle plus tard, souffrait de dépression.

La cinéaste, mère adoptive d’une fille de 12 ans, avoue que le recul du temps lui a permis de mieux comprendre ce geste de prime abord incompréhensible. «Sans doute n’avait-elle pas la capacité affective pour protéger ses enfants. Peut-être a-t-elle préféré s’éloigner pour faire le point. C’était peut-être la décision la plus sage même si elle paraît cruelle.»

L’insouciance de la jeunesse

Maman est chez le coiffeur s’intéresse aux dommages collatéraux du départ de la mère sur les trois enfants du couple, Élise (Marianne Fortier), 12 ans, et
ses deux jeunes frères Coco (Elie Dupuis) et Benoît (Hugo St-Onge–Paquin). Se sentant responsable du départ de sa mère, Élise se posera en mère de substitution pour le petit Benoît, atteint de retard intellectuel.

«Je sais comment un enfant peut ressentir au plus profond de lui-même une dispute familiale», explique-t-elle, en pensant au mariage houleux de ses parents. «J’aurais préféré qu’ils se séparent. En même temps, poursuit-elle, l’enfant a cette remarquable faculté de s’évader et tomber dans l’insouciance par le jeu, comme le démontrent les scènes où Élise et ses amis font du vélo, vont à la pêche et sautent dans les foins. L’adolescente trouvera dans l’énigmatique personnage sourd-muet de Monsieur Mouche (Gabriel Arcand) une sorte de présence masculine réconfortante.

En plus de s’attaquer aux tabous de la mère qui abandonne ses enfants et de l’homosexualité d’un père, Maman est chez le coiffeur fait voler en éclats le mythe des années 60 idylliques, parfaites sous tous rapports, de la même façon que l’avait fait Todd Haynes dans Far from Heaven.

«Je pensais, lorsque j’étais petite —, et j’ai encore tendance à le penser — que tout le monde était heureux, sauf moi. Mais à écouter les gens, je m’aperçois que ce n’était pas le cas, même à cette époque. On a tous nos histoires.»

Un brin d’Europe...

La réalisatrice d’origine suisse a choisi un Français maintenant installé au Québec, Laurent Lucas, pour jouer le rôle du père. Un choix guidé d’abord par son désir ardent de le voir travailler devant sa caméra, mais aussi par une sorte de réflexe culturel. «Dans Emporte-moi, le père était d’origine polonaise. J’aime faire appel à des couples mixtes, à un mélange de cultures. C’est une façon pour moi d’insérer un peu d’Europe dans mes films.»

Pour son prochain projet, Une belle mort, qui attend le feu vert des institutions gouvernementales, Léa Pool délaissera le monde de l’enfance pour un
triangle masculin décliné sur trois générations.

Une belle mort, coscénarisé avec l’auteur du roman, Gil Courtemanche, s’intéresse à une famille réunie autour d’un père atteint de la maladie d’Al­zheimer (Jean Lapointe).

«Le scénario renferme une certaine part d’improvisation, explique la cinéaste. Ce n’est pas nécessairement facile à vendre... (à Téléfilm Canada et la SODEC).»

 

Marianne Fortier : maturité bienfaitrice

Il s’est écoulé trois ans entre Aurore, le film qui l’a révélée au public, et Maman est chez le coiffeur. Trois ans qui ont permis à la jeune Marianne Fortier, de Québec, d’acquérir une maturité qui lui est de plus en plus utile.

Poli et réservée, l’élève de 14 ans à l’école secondaire De Rochebelle confie que l’enfant qu’elle était dans le film d’époque de Luc Dionne s’est muée en une adolescente plus rompue aux exigences de métier de comédienne. Pour incarner Aurore, la jeune fille avait été choisie parmi plus de 10  000 aspirantes.

«J’ai appris beaucoup de choses avec Aurore. J’avais 11 ans, c’était tout nouveau pour moi. Je n’avais pas la même maturité que je possède maintenant. Je lisais mon scénario, mais je ne comprenais pas nécessairement tout ce que j’avais à jouer. Ç’a été différent pour Maman est chez le coiffeur, j’avais une longueur d’avance. J’ai été davantage capable d’entrer en profondeur dans la psychologie de mon personnage.»

Dans le film de Léa Pool, Marianne Fortier incarne une adolescente du milieu des années 60 qui, l’espace d’un été, sera plongée malgré elle dans la tourmente, après le départ en catastrophe de sa mère. «Elle vit un passage précipité à l’âge adulte», indique-t-elle au sujet de son personnage d’Élise, qui prendra alors sous son aile son frère cadet.

Malgré tout, la jeune comédienne se refuse à critiquer le geste de cette mère dépassée par les événements (Céline Bonnier). «C’est assez fort comme réaction, mais, si elle était restée, je ne suis pas prête à dire que ç’aurait été mieux. Elle aurait peut-être souffert davantage. Il valait mieux pour toute sa famille qu’elle prenne ses distances. Dans le contexte de l’époque, son geste demandait beaucoup de courage.»

Marianne Fortier n’a que de bons mots à l’égard de la réalisatrice Léa Pool. «J’ai adoré travailler avec elle. On a beaucoup parlé avant le début du tournage. Elle est très ouverte aux suggestions. Elle m’a traitée comme si j’étais une adulte. Ça paraît qu’elle a travaillé souvent avec des enfants. Je l’ai vu dans sa façon de travailler avec le personnage du petit Benoît (Hugo St-Onge–Paquin).»

 

Céline Bonnier : mal de mère

Même si elle n’avait que deux ans à l’époque d’Expo 67, Céline Bonnier n’a pas eu trop de mal à trouver ses repères dans l’ambiance sixties de Maman est chez le coiffeur. Il faut dire que la comédienne avait déjà eu l’occasion, il y a quatre ans, de faire trempette dans la sauce nostalgique avec Monica la mitraille.

«J’ai l’impression de venir de cette époque-là. C’est une époque qui me fait rêver. Il y avait plein d’humour, tout allait bien. Maintenant, la vie a changé et pas nécessairement pour le mieux...» confie la comédienne originaire de l’ancienne municipalité de Saint-David-de-L’Auberivière, sur la Rive-Sud de Québec.

Dans le long métrage de Léa Pool, la lauréate du Jutra d’interprétation féminine l’an dernier (pour Délivrez-moi, de Denis Chouinard) incarne une mère journaliste qui abandonne précipitamment sa famille, pour un poste de correspondante télé à Londres, après la découverte de l’homosexualité de son mari.

Les détails de la vie cachée du mari (Laurent Lucas) sont à peine effleurés dans le scénario, un choix qu’endosse entièrement la comédienne. «C’est une façon de rester dans le monde de l’enfance, explique-t-elle en entrevue au Soleil. C’était une époque où on n’expliquait pas les choses. Aujourd’hui, on a parfois tendance à en faire un peu trop. Dans la vie, on n’a pas toujours besoin de tout expliquer de A à Z.»

De l’attitude de son personnage, qu’elle compare un peu à celui de Julianne Moore dans The Hours, Céline Bonnier avoue que le geste draconien qu’elle fait en est un de survie. «Si je reste, je meurs...» donnera-t-elle succinctement en guise d’explication à son patron.

«Ce qui est intéressant, c’est que le personnage de la mère se choisit, ce qui implique l’abandon de ses enfants. C’était rare à l’époque, car la religion jouait un grand rôle dans les familles traditionnelles. Les parents du film sont des professionnels, ils ne partagent pas ces valeurs-là.»

Après Maman est chez le coiffeur, il ne faudra pas attendre longtemps avant de revoir Céline Bonnier au grand écran. À la fin de juillet, elle sera du film de Kim Nguyen, l’intrigant drame psychotronique Truffe, en compagnie de Roy Dupuis, de Jean-Nicolas Verreault, de Danielle Proulx, de Pierre Lebeau et de Michèle Richard. «Un hommage aux films de série B...» glisse la comédienne, tout sourire, en guise d’amuse-gueule.