Jean-Claude Labrecque n'est pas né de la dernière neige et sa filmographie témoigne à la fois de son ardeur à l'ouvrage et de sa versatilité. C'est avec l'amour de l'art et du métier qu'il nous a dernièrement pondu et couvé ce lumineux Infiniment Québec, commande de l'organisation du 400e de la capitale, mais surtout accomplissement personnel d'un vague et lointain projet cher au cinéaste.

«C'est une idée que je traînais depuis plusieurs années, dit-il. J'avais essayé de la suggérer mais personne n'en voulait. Il a fallu ce timing pour que le projet se concrétise. Je suis arrivé à la bonne place, dans le bon temps.»

Né à Limoilou, Labrecque devrait connaître Québec sous toutes ses bordures, lui qui l'a explorée à fond, lui qui «l'a marchée». Pourtant il lui trouve à chaque visite (il demeure à Montréal) quelque nouvel aspect, un détail, une certaine luminosité au détour d'un passage, derrière un pan de mur: «Québec est une découverte constante. Même aujourd'hui j'y repère des endroits que j'aurais dû remarquer.» Le cinéaste filme ou photographie dès qu'il en a l'occasion, et ce depuis une quarantaine d'années, divers plans de la ville: «J'ai lentement accumulé un savoir de Québec, j'ai suivi les conseils d'amis qui me dirigeaient telle saison, à tel endroit. Sur telle rue, à telle heure, le soleil frappe telle lucarne, telle cheminée. J'ai emmagasiné tout ça en me disant qu'un jour il faudra bien réunir ces plans-là. Quand on a fait Infiniment Québec, j'avais déjà inventorié la ville.»

C'est dire que Labrecque a réalisé en toute liberté le film qu'il voulait faire: «L'ONF voyait dans ce projet un travail de création pure. C'est un film sur Québec mais pas vraiment un documentaire. J'ai planté ma caméra ici et là dans les rues, sur les toits, pour capter des moments, rendre la lumière, le temps qui passe, montrer les gens marcher dans la neige. J'ai répertorié des photographies et des peintures qui se sont faites dans les trois derniers siècles. C'est un regard amoureux, avec une caméra vagabonde qui capte les moments de tempête, les moments de pluie, les moments où il ne se passe rien.»

Il est à peu près impossible de ne pas évoquer avec Labrecque, d'une façon ou d'une autre, cette fumeuse et vague question de rivalité qui opposerait la capitale à la métropole. D'un point de vue strictement cinématographique, Québec aurait, du moins pour lui, davantage de beautés à offrir à ses caméras, Montréal étant plus étalée et architecturalement instable: «Ce n'est pas nécessairement beau, Montréal, mais ç'a une âme. Québec aussi mais c'est une ville plus refermée, plus protégée, au rythme plus lent, un rythme très heureux.» Quant à l'hypothétique «sentiment d'infériorité» des Québécois, Labrecque rappelle qu'à l'aube du siècle dernier, dans les années 1900, on avait fait construire et placer devant la ville d'immenses peintures en perspective, illustrant de grandes colonnes, pour donner aux passagers des bateaux navigant sur le fleuve l'impression écrasante d'une cité grandiose... Modeste, Québec?

Évitant de s'éterniser sur les lieux touristiques et hautement commercialisés (le Château Frontenac, les Plaines), Labrecque s'est davantage intéressé aux recoins plus ou moins fréquentés, donnant des images uniques et exceptionnelles. Cette liberté de création lui a été possible grâce notamment au soutient de l'Office national du film, son «école», et celle des Gilles Carle, Denys Arcand, Gilles Groulx etc. S'il regrette ces fameuses belles années de l'ONF (années 50 et 60 principalement), Labrecque est conscient et heureux de sa chance: «Je suis arrivé à l'ONF en 1959, c'était une période très excitante, très créative. Il y régnait un climat de camaraderie. On avait facilement accès à l'équipement.» C'est d'ailleurs avec une caméra spéciale «qui traînait dans le corridor» que Labrecque a tourné son premier film, 60 Cycles, présenté en apéritif à la projection de Infiniment Québec. «Surtout, à l'ONF on avait le temps de faire les choses, ajoute le documentariste, ce temps si précieux, si riche quand il est bien employé, qui permet d'explorer à fond un sujet.»

Mais Labrecque n'est pas amer, bien qu'il regrette la disparition de nombreux départements de l'ONF et qu'il déplore la lourdeur générale du système de production et le peu d'intérêt porté aux oeuvres plus ou moins expérimentales par les investisseurs et les décideurs: «Les films appartiennent aux gens de la télévision. C'est la télévision qui contrôle à peu près tout, dans le cas des documentaires. Elle a toujours peur de perdre son public, il faut que les spectateurs comprennent tout de suite sans se fatiguer.»

Ce constat déprimant n'empêche pas Labrecque de travailler, pour la télé justement, sur un projet encore en préparation et portant sur Félix Leclerc. Si le film voit le jour, espérons qu'il nous fera définitivement oublier une certaine série télévisée dont il vaut mieux taire le nom de l'auteur...