À peine revenu de Berlin, tout auréolé de succès, Richard Brouillette présente aux Montréalais L'encerclement: la démocratie dans les rets du néolibéralisme. Un documentaire ambitieux, mijoté sur une décennie, pour lequel le réalisateur s'est fait aussi producteur et monteur.

Austère, peut-être. Atypique, certainement. Filmé en 16 mm, L'encerclement explore rien de moins que la naissance, le triomphe et la prolifération de la «pensée unique». À grand sujet, grands penseurs: Brouillette convoque, pour l'exercice, les maîtres de l'anti-pensée unique - Ignacio Ramonet, évidemment, Noam Chomsky, mais aussi Omar Aktouf ou Normand Baillargeon.

En 1995, Richard Brouillette, grand amoureux de cinéma, lit un éditorial d'Ignacio Ramonet, dans Le Monde diplomatique, intitulé «La pensée unique». «La répétition constante de ce catéchisme par presque tous les hommes politiques, de droite comme de gauche, lui confère une telle force d'intimidation qu'elle étouffe toute tentative de réflexion libre et rend fort difficile la résistance contre ce nouvel obscurantisme», s'indignait Ramonet.

«Je voulais faire un film sur la défaite de la pensée, un peu sur la perte des idées des Lumières, explique Brouillette. L'édito de Ramonet a fait son chemin: je voulais faire un film sur l'intoxication de la pensée par une idéologie qui prend toute la place. Je voulais adapter au cinéma les concepts avancés dans l'éditorial.»

Richard Brouillette n'est assurément pas un homme pressé et se lance dans de vastes recherches qui l'amènent à croiser les classiques du libéralisme (Smith, Ricardo) et les ténors de la pensée néolibérale (Hayek, von Mises). Au passage, le réalisateur glane quelques informations concernant, pêle-mêle, «les think tanks, la société du spectacle, la postmodernité et la société de consommation».

Pour coller à son propos, Richard Brouillette adopte, pour L'encerclement, une facture visuelle peu courante. «Je faisais un film sur une idéologie, la mondialisation d'un système de pensée. La façon la plus plausible est de le faire de façon sobre: j'ai voulu le faire à l'envers du moule télévisuel. Je ne voulais pas trop de lubrifiant visuel», énonce-t-il.

Richard Brouillette a opté pour le film. «J'aime l'image film, j'aime travailler avec la matière: ça donne une véritable discipline de tourner en film. Tu dois te poser des questions essentielles. Je n'ai tourné que 25 heures pour un film de 2 heures. En vidéo, certains tournent plus de 150 heures», estime le réalisateur.

Anonymat

Sans concession, donc, l'auteur propose un film de plus de deux heures - loin, donc, du formatage imposé par la télévision -, en noir et blanc, divisé en deux parties et 10 sous-parties. Richard Brouillette n'identifie pas non plus de ses intervenants. «Effectivement, j'ai voulu leur donner un certain anonymat pour qu'on écoute ce qu'ils disent sans idée préconçue», dit-il.

Ce choix permet de sortir le spectateur de sa zone de confort en le plongeant, après plusieurs discours de gauche, dans l'argumentaire du libertarien Martin Masse qui compare la démocratie à rien de moins que «l'organisation pacifique du banditisme» et divise le monde en deux catégories: les productifs et les autres, regroupés sous le nom générique de «parasites».

«Martin Masse est quand même un radical: il ne gêne pas, observe Richard Brouillette. Mais au niveau de la pensée, il y a quand même des gens très à droite au Québec: Claude Picher, Alain Dubuc, les lucides ou encore l'Institut économique de Montréal. Les gens qui prônent le marché à tout crin et la désétatisation poussée sont très en vue.»

En plein marasme économique, le documentaire de Richard Brouillette a fait mouche à Berlin. Pourtant, Brouillette ne se dit pas «très optimiste» quant aux possibilités de changements que la crise pourrait engendrer. «Effectivement, je ne suis pas optimiste: ce que font les gouvernements, c'est la socialisation des pertes, la privatisation des profits. Il n'y a pas de volonté réelle de changer le système», regrette-t-il.