Pour le scénariste Martin Girard, la sortie du film Angle mort devait constituer un des plus beaux moments de sa vie. «Mais ç'a été comme un enterrement», dit-il.

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Vendredi, M. Girard a publié un communiqué incendiaire où il dénonce la dénaturation complète du scénario qu'il avait écrit pour ce long métrage, réalisé par Dominic James et produit par Caramel Films.

«Mon nom apparaît au générique de ce thriller à titre de scénariste. Or, si Angle mort raconte dans ses grandes lignes une histoire proche de celle que j'ai écrite, j'ai tout de même eu peine à y reconnaître mon travail lorsqu'on m'a montré le film terminé, quelques jours seulement avant sa première présentation publique», écrit-il.

Scénariste du film Le secret de ma mère et ancien critique de cinéma à l'hebdomadaire Voir, Martin Girard devait, au départ, travailler à Angle mort avec le réalisateur Frédéric D'Amours. Les comédiens Claude Legault et Julie Perreault devaient y partager la vedette.

«Frédéric s'est retiré pour tourner Lance et compte, se rappelle M. Girard. J'ai rencontré Dominic James une première fois, brièvement, question de faire connaissance. À notre seconde rencontre, en présence de Claude Legault, il m'a suggéré des modifications. Il voulait ajouter une scène d'amour et modifier la fin. J'ai appelé André Rouleau (président de Caramel Films) pour lui faire part de mes inquiétudes. Il m'a dit de ne pas m'en faire. Puis je n'ai pas eu de nouvelles.»

C'était en octobre 2009. Fin novembre, Girard a appris que les deux comédiens principaux n'étaient plus du projet. «Personne ne m'en avait informé», dit-il. On voulait rajeunir le film, lui a-t-on dit chez Caramel.

Le tournage a eu lieu début 2010 à Cuba.

Scènes jamais écrites

Martin Girard a vu Angle mort le 25 février en compagnie du réalisateur. Déjà, en voyant la bande-annonce, il n'a pas reconnu son film. Même constat après la première, où il s'est rendu dans l'espoir de s'être trompé.

Aucune scène n'explique l'histoire du tueur (incarné par Peter Miller). Aucune explication quant au fait que ce tueur revient dans le décor après avoir reçu deux balles. Certains dialogues le sidèrent. Oui, les images sont léchées. Oui, la musique est excellente, mais pour le reste... «J'étais complètement sonné. J'ai relu mon scénario et j'ai constaté qu'il n'en restait plus rien», affirme-t-il en entrevue.

L'histoire n'a pas non plus été campée dans les mêmes lieux, ajoute-t-il dans son communiqué. «Lorsque, sur papier, une intrigue se déroule dans un parc national désertique d'un pays développé et qu'à l'écran, le désert devient tour à tour un village fantôme et un abattoir de cochons dans un pays sous-développé, le résultat n'est pas le même d'un point de vue dramatique et esthétique», dit-il.

Il poursuit : «Le film contient des scènes que je n'ai jamais écrites, notamment celles de la location de voiture, de l'arrivée du couple à l'hôtel suivie d'une relation sexuelle ou encore la fuite des époux dans la porcherie. On retrouve même dans ce film des personnages qui n'ont jamais existé sur papier, comme ceux joués par Claire Pimparé et Sophie Cadieux. Quant aux dialogues, pratiquement aucun n'est vraiment fidèle à ceux du scénario, dont il ne reste à l'écran que quelques bribes.»

Restrictions budgétaires

M. Girard croit que des restrictions budgétaires peuvent expliquer certains changements. Mais pas tout ! Et il est surtout déçu de ne pas avoir été tenu au courant des modifications.

«Réécrire au complet une scène de dialogue entre deux personnages attablés dans un restaurant, ça devient un choix créatif, souligne-t-il. Lorsque cette réécriture est faite sans en informer le scénariste et certainement sans obtenir son consentement, ça devient problématique. Surtout si le nouveau dialogue transforme les enjeux dramatiques prévus à l'origine dans le scénario.»

Lorsque joint par La Presse, M. Girard a indiqué ne pas avoir fait cette sortie auparavant pour des questions juridiques. «J'ai demandé les conseils juridiques de la SARTEC (Société des auteurs de radio, télévision et cinéma). J'ai attendu que le film ne soit plus à l'affiche pour ne pas être accusé d'avoir nui à sa carrière commerciale. J'ai longtemps hésité avant de faire cette sortie, mais je ressens maintenant un grand soulagement.»

Chez Caramel Films, le président André Rouleau n'a pas voulu commenter le contenu de la lettre. «Le film a énormément de qualités. Toute l'équipe a travaillé très fort, dit-il. J'espère avoir l'occasion de m'expliquer avec M. Girard.»