C’est un petit tour de force que vient d’accomplir Yanick Létourneau, patron de la boîte de production Périphéria et réalisateur du documentaire Les États-Unis d’Afrique : intéresser des partenaires à, puis tourner, un film à la fois sur le hip-hop et sur le continent africain, deux sujets pas forcément « intéressants » pour les diffuseurs et les bailleurs de fonds, convient-il. Le voilà pourtant, ce fin documentaire, en première mondiale, ce soir, aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal.


Les États-Unis d’Afrique, mais « Au-delà du hip-hop » dit le sous-titre du documentaire. Ce n’est ni vraiment un film sur le rap, ni sur le lien entre l’ancien et le nouveau continent ou sur l’idée de pan-africanisme suggérée dans le titre, mais plutôt sur l’engagement d’un rappeur africain et comment il utilise sa musique pour éveiller les consciences.


« C’est un film qui donne de l’espoir, notamment celui qu’une autre Afrique est possible », précise Yanick Létourneau qui, depuis le début de l’aventure, a toujours eu le souci de faire un film « cross-over, un film qui ne s’adresse directement ni qu’aux amateurs de rap, non plus qu’à ceux qui connaissent bien l’Afrique ».

Létourneau, lui, se passionne pour les deux. Il visite l’Afrique une première fois en 1993 : « Mon premier contact fut avec le Burkina Faso, où ma mère a résidé. Elle travaillait pour l’OXFAM auprès des groupes de femmes ». Le coup de foudre. Il y retournera en 2004, pour présenter son premier documentaire, Chronique urbaine, une chronique de la vie quotidienne du rappeur montréalais SP de Sans Pression.

« En même temps que le festival qui présentait mon film, il y avait un autre festival, de rap celui-là, Ouaga Hip-Hop ». Létourneau connaissait déjà le travail de Positive Black Soul, duo sénégalais engagé pionnier de la scène rap africaine dont les albums avaient été édités en France et au Québec. « Mais là, je découvrais plein de rappeurs, toute une scène, très dynamique, qui avait des choses à dire ».

La révélation! Le point d’ancrage de son prochain projet : un panorama du rap d’Afrique, vu sous l’angle d’un juste retour d’ascenseur, les rythmes d’Afrique étant inscrits dans le code génétique du hip-hop né aux États-Unis. Après sept ans de travail, dont quatre pour trouver du financement, le propos du film a dévié en cours de route.

Ainsi, sa recherche l’a mené jusqu’à Didier Awadi, ex-Positive Black Soul, qui lui travaillait sur son nouvel album, l’excellent Présidents d’Afrique. Un disque engagé, un devoir de mémoire visant à rendre hommage aux « bâtisseurs de l’Afrique »  - tels que le révolutionnaire et ex-président burkinabé Thomas Sankara, qui devient presque un personnage dans le film - et rappeler aux fans une facette de l’histoire du continent qui n’est pas faite de pillages et de famines.

En filigrane, on prend conscience que « le hip-hop peut aussi être une force mobilisatrice, indique Létourneau. Le film, c’est aussi la réflexion de Didier Awadi », personnage principal et narrateur de son parcours, qui le mène du Sénégal à la France (où Awadi espère retrouver des archives de discours de ces bâtisseurs de l’Afrique moderne), puis aux États-Unis le temps d’une session d’enregistrement avec le rappeur M-1 de Dead Prez - et d’assister à l’assermentation du nouveau président Obama -, et enfin au Burkina Faso (avec le rappeur Smokey) et en Afrique du Sud  (avec Zuluboy).

Inscrit dans la Compétition nationale longs métrages du RIDM, Les États-Unis d’Afrique sera présenté jeudi soir au Cinéma ExCentris, en présence de Létourneau et du rappeur Didier Awadi, puis à la Grande Bibliothèque le 16 novembre, projection suivie d’un débat sur la musique et l’engagement politique. Les cinéphiles sont ensuite conviés ce soir à un concert de Poirier (qui signe la musique originale du film) et Awadi à la Cinémathèque Québécoise, dès 21h30.