Le Québec entier s'apprête à retenir son souffle demain soir, au moment où l'identité du lauréat de la fameuse statuette attribuée au meilleur film en langue étrangère sera dévoilée. En sa compagnie, refaisons le parcours de celui qui, cette année, s'est particulièrement distingué sur la scène internationale.

Comme son collègue Denis Villeneuve deux ans plus tôt, Philippe Falardeau est entré dans le monde de la réalisation par la porte de La Course destination monde, dont il fut le lauréat de la saison 1992-1993.

«J'ai fait mes études en sciences politiques à l'Université d'Ottawa, a-t-il expliqué à La Presse cette semaine. Une fois mon bac obtenu, je suis allé travailler deux ans en tant qu'analyste politique pour la Fédération des francophones hors Québec (aujourd'hui la Fédération des francophones et Acadiens du Canada). J'avais 21 ans. Je portais costard et cravate. Je voyais ma vie uniquement sous la perspective d'un travail intellectuel et académique. Je me disais pourtant que j'étais trop jeune pour ce genre de vie. Et j'ai eu envie d'aller voir ailleurs. C'est à ce moment-là que m'est venue l'idée de m'inscrire à la Course.»

La course destination monde

1992 - 1993

«J'ai abordé la Course comme le ferait un journaliste. D'une part, je voulais me frotter à un travail de nature différente, plus concret, plus physique. Au début, mes films étaient très mauvais. J'étais obsédé par le sujet à trouver. Je n'avais pas encore compris qu'il était possible d'emprunter une approche plus impressionniste. Il n'y a que vers la fin de la Course que j'ai réalisé un ou deux films relevant davantage du cinéma que du reportage.»

Pâté chinois

1997

«Grâce à la Course, j'ai pu faire un stage à l'Office National du film mais je suis d'abord parti en France pour aller réaliser là-bas l'émission Surprise sur prise. Ce fut d'ailleurs très formateur. À mon retour, j'ai fait différentes choses à l'ONF. J'ai notamment été caméraman pour Attendre, un film réalisé au Sud-Soudan par Marie-Claude Harvey, lauréate de la Course l'année précédente. J'y ai aussi fait la rencontre de Jacques Godbout, avec qui j'ai travaillé au scénario de son film Le sort de l'Amérique. Nous étions d'ailleurs en repérage ensemble quand nous avons vu par hasard un vendeur ambulant de mets chinois. D'où le déclic pour Pâté chinois. J'ai parcouru le pays d'un océan à l'autre en m'arrêtant au hasard pour rencontrer des gens d'origine chinoise. Quand je regarde ce moyen métrage aujourd'hui, je trouve que c'est un peu n'importe quoi. Cela dit, il y avait là quand même assez d'idées et d'humour pour laisser entrevoir la possibilité d'un deuxième.»

La moitié gauche du frigo

2000

Meilleur long métrage canadien au Festival de Toronto
Prix Claude-Jutra du meilleur premier long métrage aux Genie
Jutra du meilleur acteur (Paul Ahmarani)

«J'ai rencontré Luc Déry, qui a produit tous mes films. Il commençait dans le domaine de la production à l'époque. Je lui ai proposé un projet de documentaire sur l'information internationale. Je voulais aller filmer le théâtre de la médiatisation dans un pays en crise. Il m'a répondu que c'était trop ambitieux et trop cher. Mais il m'a demandé de lui soumettre quand même une autre idée. Je lui ai parlé de mon coloc qui était au chômage malgré son diplôme d'ingénieur. La moitié gauche du frigo est né là. Ce fut ma première incursion dans le monde fictionnel. Je n'avais pas d'attentes par rapport à ce film. Mais je me suis rendu compte que ma volonté de réalisation n'était pas épisodique. Et qu'il me fallait faire un deuxième long métrage. Quand je revois La moitié gauche du frigo, j'estime qu'il vieillit assez bien. Cela dit, il y a des anachronismes qui viennent quand même marquer le passage du temps.»

Congorama

2006

Cinq Jutra
Genie du meilleur scénario
Sélection à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes

«Pour ce deuxième long métrage, je disposais de plus de moyens. À tel point qu'au premier jour de tournage, j'ai carrément eu l'impression de m'être trompé de plateau! Sur celui de La moitié gauche du frigo, nous étions huit ou neuf personnes en moyenne. Sur celui-là, nous étions 35! Je me suis vite rendu compte que j'entrais dans une autre ligue. Congorama est un film très technique sur le plan de la réalisation, car il est construit comme un puzzle, mais aussi très ludique. J'ai aujourd'hui le fantasme de revenir à ce genre d'écriture, très désinhibée. Quand Bertrand Tavernier, qui compte son bon lot de films avec des sujets importants, m'a dit un jour avoir réalisé La fille de D'Artagnan simplement pour le plaisir de la chose, ce fut pour moi un déclic.»

C'est pas moi, je le jure!

2008

Grand Prix de la section Génération KPlus du Festival de Berlin

«Je sais que ça peut paraître un peu étrange alors que Monsieur Lazhar est en train de connaître un parcours inespéré, mais C'est pas moi, je le jure! reste mon film favori. C'est celui qui, je crois, me définit le mieux. Et que je prendrai plaisir à revoir toute ma vie. Ironiquement, il y a un aspect plus profond qui n'a peut-être pas été saisi comme je l'aurais souhaité. Je n'ai sans doute pas travaillé assez bien. Je voulais juxtaposer le drame et l'humour dans une même scène plutôt que de les enchaîner. C'est tombé entre deux chaises. Les questions métaphysiques du petit gars faisaient écho à celles que je me posais aussi quand j'étais enfant, mais peut-être que ça ne rejoignait pas les gens autant que moi. Je me suis posé beaucoup de questions après la sortie du film. J'en ai même été déprimé.

Monsieur Lazhar

2011

Prix du public au Festival de Locarno
Prix du meilleur long métrage canadien au Festival de Toronto
Finaliste pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère

«Sans contredit le film dans lequel il y a le moins d'artifices. Même si le destin de ce film est différent des autres, je n'ai pas le sentiment de changer en tant que cinéaste. En revanche, le regard des gens de la profession, si. À Hollywood, les plus grandes agences artistiques se sont toutes intéressées à moi. On me donne une clé me permettant d'ouvrir plein de portes. À moi de choisir l'édifice dans lequel je veux entrer. Cela dit, il ne faut pas oublier que la porte d'Hollywood s'ouvre grâce à un film intimiste tourné en français à Montréal. Si j'avais réalisé aux États-Unis un film anglophone avec de gros moyens sans avoir droit au montage final, je ne serais pas aux Oscars demain, ça c'est certain.»