Après Anne-Claire Poirier et Denise Filiatrault, la comédienne, scénariste et réalisatrice Paule Baillargeon deviendra demain soir la troisième Québécoise à recevoir le Jutra-hommage soulignant l’ensemble de sa carrière au grand écran. En sa compagnie, nous avons revisité cinq films qui l’ont marquée.

Sans avoir été une intime du cinéaste, Paule Baillargeon a eu une relation singulière avec Claude Jutra.

Leur première rencontre remonte à l’époque du Grand Cirque ordinaire, première troupe québécoise de théâtre collectif. Dans les dernières années de Jutra, ils se retrouvent voisins au square Saint-Louis. « Claude pouvait être assez secret, dit Mme Baillargeon, qui a joué dans La dame en couleurs, dernier film de ce dernier. Il était timide et moi aussi. Alors, on se parlait, mais pas tant que ça. »

Plus tard, elle redécouvre Jutra alors qu’elle tourne un documentaire sur lui, Claude Jutra, portrait sur film. «J’ai découvert quelqu’un de phénoménal et même génial, dit-elle. Claude a eu un parcours passionnant qui a suivi la courbe de l’histoire du Québec. Dans les années 1960 et 1970, il était partout. Il jouait, tournait, faisait des émissions de télé. Son énergie était à l’image du Québec. Puis, après le référendum de 1980, sa santé a commencé à décliner.»

Pour faire écho au Jutra-hommage, nous avons demandé à Paule Baillargeon d’évoquer cinq films qui l’ont marquée.

Anastasie oh ma chérie  – 1977

«Comme réalisatrice, c’était mon premier film. Il a changé ma vie. 

«Au Grand Cirque ordinaire, j’ai appris à avoir le sens des images. Un jour, j’ai eu l’idée de ce film où deux policiers arrivent chez une femme et l’habillent de force. C’est comme un viol à l’envers.»

«C’est dans ce film qu’est apparue la robe rouge qui revient dans mes films. On la voit dans Le sexe des étoiles et dans Trente tableaux. Depuis mon enfance, j’adore le rouge», dit la réalisatrice qui en porte le jour de notre rencontre.

Le voyage des comédiens  – 1975

Ce film de Théo Angelo-poulos a fortement marqué Mme Baillargeon. «Mon film La cuisine rouge évoquait l’opposition entre deux groupes d’hommes et de femmes rassemblés dans deux pièces différentes, les femmes faisant la grève et refusant de servir les hommes. Or, je voulais tourner de longs plans-séquences à l’écart des hommes, comme pour montrer le point de vue des femmes sur eux. On me déconseillait de faire ça. Mais en allant voir Le voyage des comédiens au Festival de la critique, c’est exactement la technique qu’Angelopoulos employait. Et c’est ce que j’ai fait!»

Les voisins  – 1986

Pièce de théâtre captée pour la télévision et signée par le tandem Claude Meunier/Louis Saïa, Les voisins est devenu un film-culte.

«J’y interprète Laurette, femme entourée de gens totalement inconscients. Je suis la seule à me rendre compte du vide de notre existence. Je suis entrée totalement dans ce personnage comme si je l’avais toujours connu. On m’avait mis en garde que Laurette n’était pas une intello, alors que je n’ai jamais été aussi proche d’un de mes personnages.»

Pour ce rôle, Mme Baillargeon a remporté le Gémeaux de la meilleure actrice.

Mon oncle Antoine – 1971

Paule Baillargeon nomme cette œuvre lorsqu’on lui demande de déterminer un film marquant de Claude Jutra.

«Je ne suis pas originale, s’excuse-t-elle, mais il y a dans ce film des séquences inoubliables. Je pense à cette scène où Claude (interprète de Fernand) installe un rideau devant la vitrine du magasin général avant de le tirer. On dirait le théâtre qui arrive! C’est un film très politique et tout autant un éveil à la vie et à l’amour. »

Trente tableaux – 2011

Au terme de deux ans de résidence à l’ONF, Mme Baillargeon a réalisé Trente tableaux, son plus récent film qui prend l’affiche le 23 mars à L’eXcentris.

«Anastasie demeurait mon meilleur film jusqu’à celui-ci. L’un et l’autre ont été tournés en toute liberté. Je suis meilleure dans ces conditions. J’étais prête à me mettre ainsi à nu. J’ai souvent eu le sentiment qu’on m’a perçue autrement de celle que je suis, que j’étais invisible. Je voulais mettre les choses au clair et devenir visible. Oui, c’est épeurant, mais c’est un film que j’ai réalisé dans le bonheur.»