Un homme veut devenir femme. C’est un cataclysme. Dans la vie intime et sociale. Dans le regard des proches. Et dans celui des autres. Pour évoquer l’ultime défi d’une histoire d’amour, Xavier Dolan a mis dans son nouveau film des cris, des larmes, des répliques assassines, du rire, de la musique, des fulgurances visuelles. Melvil Poupaud, Suzanne Clément, Nathalie Baye, Monia Chokri et beaucoup de beau monde l’ont suivi dans son aventure.

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Pour son troisième long métrage, Xavier Dolan a eu du temps, de l’ambition, des sous et la collaboration de quelques-uns des meilleurs artisans de l’industrie, tant devant que derrière la caméra. Laurence Anyways ressemble en tous points à ce qu’il avait en tête. Et même au-delà.

À 35 ans, Laurence Alia décide de révéler ce qu’il est vraiment. Il annonce à Fred, la femme de sa vie, qu’il deviendra femme. À partir de ce point de départ, Xavier Dolan a élaboré Laurence Anyways, un film-fleuve, dont l’intrigue est étalée sur une dizaine d’années, dans lequel deux êtres sont confrontés directement à la nature de leur amour, ainsi qu’au regard des autres.

« Qu’est-ce qui est le plus important, aimer ou survivre ? , demande l’auteur cinéaste. Il ne peut y avoir plus ultime défi dans une histoire d’amour que celui posé par un être qui décide de changer de sexe. Particulièrement s’il vit déjà en couple. Dès que j’ai eu l’idée de ce film, j’ai su qu’on irait jusqu’au bout de cette histoire. Et que pour bien la raconter, il fallait étaler le récit sur une longue période. Je voulais aussi un film en mouvement. Pour tout dire, je voulais faire un ostie de beau film ! »

Pour faire son « ostie de beau film », Xavier Dolan a dû avoir les moyens de ses ambitions. Contrairement à ses deux premiers longs métrages, J’ai tué ma mère et Les amours imaginaires, Laurence Anyways a été produit à l’intérieur du cadre institutionnel avec un budget, très honorable, d’environ 8 millions de dollars.

« Cela ne change mon approche en rien, si ce n’est qu’on a bénéficié de 56 jours de tournage, précise le cinéaste. Pour un scénario de cette nature, c’est ce qu’il fallait. De la même façon, on ne peut pas expédier un récit qui se déroule sur 10 ans en enchaînant des scènes qui entremêlent les époques toutes les trois secondes. Le film est long, oui, mais pas lent. Le scénario impose son propre rythme. Il y a eu beaucoup de discussions sur la durée – 2 h 40 – mais on reconnaît aujourd’hui qu’il ne pouvait en être autrement. Ce fut d’ailleurs un grand bonheur de travailler avec l’équipe de production dirigée par Lyse Lafontaine. Il est très agréable d’élaborer un film dans une atmosphère aussi harmonieuse. »

Le film en tête

Fidèle à son habitude, Xavier Dolan a veillé à tout. En plus du scénario et de la réalisation, celui que l’on surnomme le « jeune prodige du cinéma québécois » dans la presse française signe le montage de son film, de même que les costumes. Sur ce plan, il a aussi pu compter sur le talent du vétéran François Barbeau. Ce dernier a conçu une dizaine de costumes originaux.

« Je sais ce que je veux, dit Xavier Dolan. Je ne dis pas que je suis le meilleur monteur du monde, mais je sais que je suis le bon monteur pour ce film-là. Quand on me dit qu’un regard extérieur est parfois nécessaire pour prendre du recul par rapport à son travail, je dis non. Au moment même de l’écriture du scénario, le montage du film était déjà fait dans ma tête. La bande-annonce, mise en ligne récemment, était déjà conçue de façon très précise avant même que le scénario n’existe. À l’arrivée, Laurence Anyways est identique à ce que j’avais en tête. Et va même au-delà ! »

Le récit est campé dans les années 90, une décennie qui, aux yeux de l’auteur, symbolise une époque de renaissance.

« C’était au lendemain de la chute du mur de Berlin, rappelle-t-il. Les droits des homosexuels étaient mieux reconnus, l’ostracisme envers les gens atteints du sida s’estompait un peu, bref, il y avait un espoir collectif. Depuis l’arrivée du XXIe siècle, nous n’avons pas eu grand répit. »

Très foisonnant, le film mélange les styles et les approches. Des scènes crues, réalistes, où les personnages s’affrontent de façon très directe, s’enchaînent à des séquences plus oniriques, très travaillées sur le plan esthétique, où le temps semble être suspendu. Une scène de bal nouveau genre, élaborée au son du célébrissime Fade to Grey (Visage), marquera sans doute les esprits.

« C’est comme une sorte de réflexe, explique Xavier Dolan. Dans tous mes films, il y a ces apartés qui relèvent de l’ordre du fantasme. Ces interventions plus oniriques viennent éclairer le propos d’une autre façon. Oui, il y a un grand souci esthétique dans ces séquences-là. Ma grande priorité reste quand même l’histoire et le jeu des comédiens. À cet égard, j’ai été magnifiquement servi par Melvil Poupaud et Suzanne Clément, ainsi que par les nombreux autres acteurs qui participent au film. Il y a du bon monde là-dedans ! »

Cap sur Cannes

Le jour où il prendra l’affiche au Québec dans un circuit d’environ 25 salles, Laurence Anyways sera présenté au Festival de Cannes dans la section Un certain regard. L’auteur cinéaste sera bien entendu sur la Croisette, en compagnie de quelques-unes des vedettes de son film. Outre Melvil Poupaud et Suzanne Clément, Monia Chokri et Magalie Lépine-Blondeau seront aussi du voyage. Nathalie Baye, qui interprète la mère de Laurence, sera vraisemblablement retenue par un tournage.

« Le comité de sélection du Festival a estimé que Laurence Anyways n’avait pas sa place dans la compétition et son choix est souverain, fait remarquer Xavier Dolan. La présentation des Amours imaginaires à Un certain regard il y a deux ans a ouvert la porte à des rêves et des fantasmes qui devenaient vraisemblables tout à coup. D’où la déception de ne pas avoir été retenu pour la compétition. Mon deuil est fait, cela dit. Cet épisode m’a d’ailleurs inspiré très vivement l’écriture d’un scénario, mais je ne peux révéler grand-chose pour l’instant. Soixante pages ont été écrites depuis deux semaines. Il s’agira de mon quatrième long métrage. »

C’est dire que l’adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard Tom à la ferme, dont le dramaturge assume présentement la première phase d’écriture, viendra plus tard.

Laurence Anyways prend l’affiche le 18 mai.