Installé à une table d’une brasserie de la place Clichy jeudi, Melvil Poupaud était confiant. À quelques jours de la première de Laurence Anyways au Cinéma Impérial de Montréal, à laquelle il assistera lundi, le héros – ou plutôt l’héroïne – du nouveau film de Xavier Dolan ne cachait pas son enthousiasme.

« J’ai eu l’occasion de travailler sous la direction de grands cinéastes au cours de ma carrière, mais, très honnêtement, il y en a peu qui m’aient emballé autant que Xavier Dolan, révèle-t-il lors d’une interview accordée à La Presse. En voilà un qui sait ce qu’il veut. Pour un acteur, c’est très précieux. Il assume ses choix et l’on ne peut faire autrement que d’avoir envie de le suivre dans ses délires et ses coups de folie. Malgré son jeune âge, Xavier a beaucoup d’autorité sur un plateau. »

Melvil Poupaud, acteur fétiche du regretté Raoul Ruiz (avec qui il a tourné une dizaine de films), n’a pourtant pas eu la partie facile. À peine deux semaines avant le début du tournage, l’acteur a reçu un appel du cinéaste. Ce dernier lui proposait de reprendre au pied levé le rôle que Louis Garrel venait d’abandonner. Deux jours plus tard, Melvil Poupaud débarquait à Montréal. Une heure après son arrivée, les séances d’épilation étaient déjà commencées.

« Je n’ai pas eu le temps d’angoisser, dit-il. Je connaissais déjà le scénario, car Xavier m’avait pressenti pour l’un des rôles secondaires du film. Je trouvais le personnage de Laurence magnifique. Je m’étais déjà projeté dedans à la lecture ! »

Au-delà du délai très court, Melvil Poupaud a aussi dû s’adapter rapidement au jeu des acteurs québécois.

« En France, il y a encore un clivage entre les acteurs de théâtre, de cinéma et de télévision qui n’existe pas chez vous. Les acteurs québécois savent tout faire. Ils ont une ampleur plus facile à gérer. L’énergie du langage est aussi très différente. Avec ma voix plus monocorde et mes accents toniques placés différemment, je craignais d’être un peu en décalage. Heureusement, Xavier ne m’a pas lâché d’une semelle ! »

Faire face à l’intime

Un rôle comme celui de Laurence, un homme qui décide de devenir une femme, force l’acteur qui l’incarne à faire face à des choses intimes. Melvil Poupaud, aujourd’hui à l’aube de la quarantaine, s’estime chanceux d’avoir pu incarner un tel personnage à un âge plus mûr.

« Le tournage fut long et difficile, reconnaît-il. Vivre en femme pendant quelques mois, c’est très perturbant. Encore plus perturbant est le regard que les autres portent sur soi. On ressent des choses qu’on ne ressent jamais en tant qu’homme. Le poids du regard sur les femmes est souvent très lourd. Étrangement, jouer une femme m’a rendu plus “ homme ”. J’entends par là que j’assume désormais davantage mon âge, ma maturité, ma masculinité. Un rôle comme celui-là nous oblige à nous questionner à tous les étages. Avec Laurence Anyways, j’ai l’impression d’avoir franchi une autre étape dans ma vie, de la même façon que j’avais eu le sentiment d’en avoir franchi une grâce au Temps qui reste de François Ozon. »