S'il y a un cinéaste heureux, fier, mais surtout soulagé de voir son film au Festival international du film de Karlovy Vary, c'est bien Martin Villeneuve. Sept ans qu'il porte Mars et Avril sur ses épaules, contre vents et marées. Une audacieuse production de science-fiction, poétique et existentielle, dont la fabrication lui a causé maux de tête et cauchemars.

«Ç'a été un méchant défi, alors ma plus grande réussite, c'est de l'avoir fini. Tout ce qui arrive après, c'est des cadeaux de la vie», lance le cinéaste de 34 ans, rencontré lundi, quelques heures avant la première de son premier long métrage.

«Fin 2009, début 2010, ce n'était plus très drôle pour moi de faire du cinéma. Ce que je vivais alors n'avait plus rien à voir avec la création. Il s'agissait plutôt d'assurer ma survie, de ne pas faire faillite à 30 ans et pouvoir faire un autre film. Ma vie au complet reposait sur le fait de finir ce film.»

Mars et Avril est une bien curieuse créature, un ovni visuellement réussi, pour rester dans le monde de la science-fiction, mais accusant des faiblesses sur le plan du scénario. Tourné sur fond vert, afin de recréer les décors d'un Montréal futuriste, le film raconte l'histoire d'amour entre un musicien septuagénaire, Jacob Obus (Jacques Languirand), qui joue d'étranges instruments aux formes féminines, et d'une jeune photographe de l'âme, Avril (Caroline Dhavernas), qui se retrouvera sur la planète rouge, où vient de se poser la première mission humaine. Un cosmologue - Robert Lepage, dont la tête apparaît en hologramme, sur le corps d'une doublure... - aidera le vieux musicien à retrouver l'élue de son coeur.

Capacité de résilience

C'est Robert Lepage qui, le premier, a vu le potentiel cinématographique des romans photos de Villeneuve, publiés en 2006. «Il voulait faire un film à la façon de La face cachée de la Lune, avec un parti-pris théâtral, avec moins d'effets spéciaux», explique Villeneuve.

La fermeture de sa boîte de production Ex aequo, en 2006, est venue compliquer les choses. «Il m'a encouragé à continuer tout en voulant rester impliqué [Lepage est producteur exécutif du film]. Je me suis retrouvé aux commandes d'un projet qui était beaucoup trop ambitieux pour mon back-ground. Mais parce que je ne savais pas que c'était impossible, je l'ai fait...»

Les choses sont devenues plus complexes. Plusieurs collaborateurs ont abandonné le navire. Qu'importe, Villeneuve s'est retroussé les manches, parvenant à aller chercher du financement et des noms de prestige : outre Lepage, le bédéiste belge François Schuiten, le compositeur Benoît Charest, le Cirque du Soleil...

Caroline Dhavernas lève son chapeau au réalisateur. «Martin possède une grande faculté de résilience. Il a su transformer chaque obstacle en un tremplin pour faire encore mieux.»

Chose certaine, Mars et Avril suscite la curiosité. La bande-annonce a déjà été visionnée plus de 50 000 fois et la page Facebook du film compte 20 000 fans. «Les gens sont curieux de découvrir ce type de cinéma, surtout qu'on n'en fait pas beaucoup au Québec», avance Villeneuve.

Le jeune père de famille a reçu un coup de pouce dans l'écriture du scénario de son célèbre frère Denis, de 11 ans son aîné. «Spontanément, il m'a offert ses services alors que je cherchais quelqu'un pour m'aider. À l'époque, il travaillait sur Polytechnique, dans un univers très sombre. Je crois que ça lui faisait du bien d'en sortir un peu.»

Une jeune «mentor»

Caroline Dhavernas, 34 ans, et Jacques Languirand, 81 ans, forment un improbable couple dans Mars et Avril. Or, c'est sur la jeune femme que le vétéran animateur radio s'est appuyé pendant le tournage. «J'ai beaucoup appris d'elle parce que je n'ai pas son expérience en cinéma. J'ai beaucoup collé à ce qu'elle faisait, ç'a été très précieux pour moi», dit-il, au sujet de sa jeune «mentor».

Malgré leur grande différence d'âge, leurs personnages vivent une relation charnelle, ajoutée au dernier instant. «Robert [Lepage] trouvait qu'il manquait de sensualité dans le film, alors on a fait une scène d'amour, deux ans après la fin du tournage, dans le lit même de M. Languirand, chez lui...», explique-t-elle, amusée.

La carrière américaine de la jeune comédienne se poursuit. Elle amorce bientôt le tournage d'une comédie dramatique indépendante, Goodbye World, signée Denis Hennelly. «Je retourne à Montréal quelques jours et je pars en Californie. Je suis contente parce que je n'avais pas tourné depuis septembre.»

Quant à Jacques Languirand, il se voit davantage derrière un micro que devant la caméra. Sa populaire émission Par 4 chemins reviendra pour une 42e saison l'an prochain, à l'antenne de la Première Chaîne de Radio-Canada, mais dans un format d'une heure.

«Je vieillis, j'ai du mal à marcher, alors s'il fallait que je fasse à nouveau du cinéma, il faudrait que le rôle soit écrit spécialement pour moi, avec le cercueil pas loin...» lance-t-il, dans l'un de ses éclats de rire caractéristiques.

La sortie commerciale de Mars et Avril est prévue pour octobre.

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Les frais de déplacement et de séjour du
Soleil en République tchèque ont été payés par le Festival international du film de Karlovy Vary.