D'abord acteur dans quelques films réalisés par son père, Barry, Sam Levinson s'est ensuite tourné entièrement vers l'écriture et la réalisation. Lancé au Festival de Sundance, Assassination Nation est un brûlot satirique d'une extrême violence, qui évoque l'état d'esprit qui anime nos voisins du Sud. Nous avons rencontré le cinéaste au Festival de Toronto.

Qu'est-ce qui vous a motivé à écrire cette histoire et à la raconter de cette façon ?

Je crois qu'en Amérique, nous sommes à un point où nous devons nous questionner sérieusement sur ce que nous sommes en tant que peuple. Il faut réfléchir à notre propension à tordre la vérité, à la façon dont nous discutons entre nous, avec ce niveau de colère, de vitriol, de certitude et de violence. Il y a aussi le fait que j'allais devenir moi-même parent. Forcément, le sort du monde dans lequel mon enfant allait naître m'inquiétait - et m'inquiète encore - beaucoup. Je voulais que tout ça ait du sens. Alors j'ai écrit. Et j'ai filmé.

Vu de l'extérieur, on a aussi l'impression que votre film est une réponse à l'ère Trump, ainsi qu'à la frange la plus radicale de ses supporteurs. L'est-il ?

Nous avons atteint un degré de folie absolue dans notre pays. Je crois que Trump n'en est que la représentation, étant donné que nous avons choisi le divertissement plutôt que l'instinct de survie. Tout le monde est sous son joug, autant ceux qui l'aiment que ceux qui le détestent. Comme il est désormais notre unique sujet de conversation, on ne s'arrête plus pour analyser et l'on ne fait que sauter d'un tweet à l'autre. C'est comme une espèce de téléroman dont on ne peut plus s'échapper. C'est aussi très révélateur du format de l'internet, dans la mesure où il n'y a jamais de fin ni de conclusion définitive aux faussetés. C'est comme une spirale sans fin.

Avez-vous le sentiment que les choses ont changé depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump ?

Nous vivons aujourd'hui dans un monde où les règles font en sorte que la prochaine chose devra toujours être plus divertissante que la précédente. Suivant cette logique, imaginez ce que ce sera en 2020 ! Ce qui m'inquiète, surtout, ce sont les certitudes aveugles qui animent certains citoyens, peu importe s'ils se situent à un spectre idéologique ou à un autre. Il n'y a plus de discussion possible. Je ne vois pas les réseaux sociaux comme le grand vilain de l'histoire dans ce film, le vilain étant plutôt le sens de certitude de gens qui croient dur comme fer détenir la vérité. Et qu'en conséquence, la fin justifie les moyens, quitte à enfreindre la loi. C'est la recette idéale pour le film d'horreur ultime. Ce film critique ceux qui estiment de leur plein droit d'imposer leur vision et qui méprisent ceux qui ne partagent pas leur idéologie.

Assassination Nation relate l'histoire de quatre adolescentes qui, faussement accusées d'exposer des données privées de concitoyens sur les réseaux sociaux, sont victimes d'un effroyable déferlement de haine collective. Vous avez situé votre film à Salem, où des femmes accusées de sorcellerie ont été exécutées au XVIIe siècle.

J'ai situé ce récit très contemporain à Salem parce qu'on a toujours tendance à penser que nous sommes actuellement dans un moment unique de notre histoire. Or, ce n'est pas vrai. Bien sûr, on a ajouté de la couleur et une bonne dose d'humour noir, mais le fond reste le même. Cette histoire reste plausible, justement à cause de ce qui s'est passé là auparavant, avec des conséquences encore plus violentes. J'ai évidemment beaucoup réfléchi à la façon d'illustrer la violence, mais je crois qu'elle semble pire qu'elle ne l'est, à cause du fait que les personnages sont ancrés dans une certaine réalité. À la racine, ce qui cause cette violence est aussi très réel, très vrai. Il en est de même de la violence psychologique. Quand on entre ensuite dans une zone plus fantastique, il y a déjà des marques plus profondes.

Si vous aviez à décrire votre film vous-même, que diriez-vous ?

Je dirais que ce film est de genre internet. Il en emprunte la forme, en tout cas. Le défi auquel fait face un cinéaste aujourd'hui est de rivaliser avec tous les plus petits écrans en essayant d'attirer l'attention d'un spectateur plus volatil sur le plan émotionnel. L'internet nous ayant désensibilisés à la narration classique, comment raconter une histoire d'une manière qui semble nouvelle, inattendue ? Avec Assassination Nation, j'ai voulu répliquer en construisant une histoire qui mime un peu ce qu'on trouve en ligne, où l'on est sollicité par toutes sortes de choses, y compris les ruptures de ton qui s'y rattachent. J'aime à penser que le cinéma ne mourra pas.

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Assassination Nation (Nation destruction en version française) est actuellement à l'affiche.

Photo fournie par Entract Films

Une scène tirée d'Assassination Nation, de Sam Levinson