Première chansonnière connue au Québec, La Bolduc a ouvert de nouveaux horizons aux femmes. La comédienne Debbie Lynch-White, qui l'incarne dans le film homonyme, est allée à sa rencontre de cette « blogueuse avant son temps ».

Peu de temps après l'annonce disant que Debbie Lynch-White allait incarner La Bolduc au cinéma, une femme de Granby travaillant dans une résidence pour personnes âgées a écrit à la comédienne pour lui dire que Fernande Bolduc, fille de Mary Travers, demeurait dans cet établissement. Et qu'une rencontre était possible.

« Une journée, j'ai pogné mon char et je suis allée la rencontrer, se souvient la comédienne. J'aime connaître des gens en lien avec les personnages que je joue. »

De cette conversation avec Fernande, Debbie Lynch-White est revenue avec de précieux renseignements. Elle a su que La Bolduc ne portait jamais de chapeau sur scène. Et qu'elle n'aimait pas du tout se faire appeler... La Bolduc, ce « La » ayant un agaçant côté péjoratif.

À la demande de la comédienne, des changements ont donc été apportés dans le scénario pour s'approcher davantage de la réalité historique.

Ainsi, dans une scène où des clients la reconnaissent dans une épicerie en disant : « C'est La Bolduc », son personnage marmonne pour elle-même : « C'est Madame Édouard Bolduc. »

« C'était pertinent de le mentionner », observe une Debbie Lynch-White satisfaite.

La comédienne confie aussi avoir cherché à savoir si, dans sa vie de tous les jours, Mary Travers roulait ses « r » comme elle le fait dans ses chansons.

« Parce que si elle le faisait, ça aurait teinté le personnage. Rouler les "r" peut devenir lourd au bout d'une heure et demie. »

- Debbie Lynch-White

Après avoir visité le musée de La Bolduc à Newport en Gaspésie (maintenant fermé, à ne pas confondre avec le Musée de la Gaspésie, qui présentera une exposition sur La Bolduc à l'été), discuté avec Fernande et avec d'autres membres de l'entourage de la chanteuse, la réponse était non. Encore un détail de grande valeur mis en banque !

Ce long travail de recherche autour du personnage était d'autant plus nécessaire qu'il n'existe pas d'archives filmées ou sonores, à l'exception des chansons, de l'auteure-compositrice-interprète sur La Bolduc.

« Ces pistes de vérité m'ont beaucoup guidée, continue la comédienne. Tout ce que j'avais pour me rapprocher de son âme, c'était son répertoire musical où j'entendais sa voix. Tu y sens son énergie, son aplomb, son humour. Je me suis beaucoup basée là-dessus, en plus des livres et du scénario, mon matériau de base, pour la construire. »

« KICKER » DES PORTES

Foi de Debbie Lynch-White, son association au personnage de La Bolduc risque de s'ancrer dans les esprits. Et elle s'en réjouit.

« Comme interprète, c'est le genre de personnage qui nous suit longtemps, dit-elle. Je croise Antoine [Bertrand], qui me dit qu'on lui parle encore de Louis Cyr. Luc Guérin, lui, se fait encore parler de Willie [Lamothe]. La Bolduc va faire un petit bout de chemin avec moi et c'est tant mieux, car on la ramène dans notre mémoire. »

La comédienne sait depuis le printemps 2015 qu'elle va incarner Mary Travers. En plus de faire des recherches sur le personnage, elle a suivi des cours de chant pour parfaire sa turlute, sa respiration. Pendant près de trois ans, elle a pratiquement côtoyé au jour le jour ce personnage plus grand que nature.

Que retient-elle de la célèbre chanteuse gaspésienne ?

« Son côté battante, répond-elle. Son courage, son côté bon vivant, sa générosité. C'est une fille de party et une mère qui veut être présente auprès de ses enfants, mais qui, par nécessité, va essayer de faire de l'argent. Elle est fière, travaillante. »

« Elle en a kické, des portes. Je ne me sens pas très loin d'elle. Dès le début, La Bolduc m'est apparue familière et m'a fait penser aux femmes de ma famille. »

- Debbie Lynch-White

Il est vrai que Mary Travers était irlandaise par son père. Et Debbie Lynch-White, dont la famille vient d'Edmunston, a aussi des racines irlandaises.

Par son « kické des portes », la comédienne nous renvoie au fait qu'en tant que chansonnière qui a fait de longues tournées au Québec dans les années 30 tout en étant épouse et mère de quatre enfants, Mary Travers constituait un ovni dans la définition des rôles masculins/féminins à cette époque. En plus, elle composait ses pièces et jouait des instruments de musique (harmonica, violon), autre phénomène inusité à l'époque.

Féministe, Mary Travers ?

« Je pense qu'elle était féministe sans le savoir, nuance Debbie Lynch-White. Certaines de ses chansons étaient avant-gardistes et engagées, mais dans d'autres, elle raconte que la femme doit rester au foyer et que l'homme va travailler. Elle était surtout féministe dans ses actions, car elle faisait le contraire de ce que les femmes faisaient. Elle le faisait pour que ses enfants mangent. Il y avait un instinct de survie là-dedans. Mais elle y a pris plaisir. C'est venu, je crois, avec une grande culpabilité, car elle était très pieuse, très croyante. »

Au bout de ce voyage et en dépit du travail en amont, Debbie Lynch-White ne se met pas trop de pression quant à la vérité historique.

« Rapidement, dans mon processus, je me suis dit : "C'est ma Bolduc." Je suis une actrice qui essaie de la jouer le plus fidèlement possible, sans vouloir en faire une imitation. Oui, on m'a teint les cheveux en brun comme elle. Mais elle avait les yeux bruns et on a gardé mes yeux bleus. C'est notre interprétation d'elle. Et j'ai hâte de partager celle qui m'habite depuis trois ans. »

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La Bolduc prendra l'affiche le 6 avril.

Photo fournie par Les Films Séville

Debbie Lynch-White dans La Bolduc

Photo fournie par Les Films Séville

Debbie Lynch-White dans La Bolduc

«Une blogueuse avant son temps»

CHANTER LE QUOTIDIEN

« La Bolduc était une blogueuse avant son temps, dit François Bouvier. Elle parlait de l'épicerie du coin, de l'agent d'assurances, des policiers. » « Les thèmes de ses chansons étaient tirés de son quotidien, de ce qui lui arrivait dans sa vie », endosse Frédéric Ouellet. L'un et l'autre s'amusent du fait que Mary Travers a même une chanson parlant de la visite du dirigeable R-100 au Québec au coeur de l'été 1930.

TRACER LE SILLON

Non seulement La Bolduc a chanté le quotidien, mais elle serait aussi la première auteure-compositrice-interprète au Québec, dit un article du Gramophone virtuel, section du site internet de Bibliothèque et Archives Canada. « Mary Bolduc a une influence indéniable sur les genres de musique populaire de ses successeurs québécois », lit-on. D'autres chansonniers lui ont emboîté le pas et chanté leur époque, ajoute le site, qui nomme les Roland (le soldat) Lebrun, Oscar Thiffault, Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Pauline Julien, Robert Charlebois.

PEU DE DOCUMENTS

Si on exclut les chansons, il n'existe pas de documents sonores ou filmés de La Bolduc. Les auteurs ont cherché, à Radio-Canada, à BAnQ et ailleurs sans rien trouver. Un handicap pour construire leur scénario ? « Oui, mais ça nous laissait plus libres [dans la démarche] », observe Frédéric Ouellet. Ce dernier indique que le matériel de base est venu d'une idée originale et d'un premier scénario signé Benjamin Alix. Les producteurs de Caramel Films n'ont pas trouvé cette version adéquate. Frédéric Ouellet a donc écrit un nouveau scénario, auquel M. Alix a collaboré. Autres documents de référence : un documentaire d'Historica Canada offert sur YouTube et quatre biographies, dont celle de David Lonergan. « C'est cette dernière qui a le plus retenu mon attention, dit M. Ouellet. M. Lenorgan et moi avons échangé quelques fois au téléphone. »

RECHERCHE MUSICALE

La discographie de Mary Travers est faite d'une centaine de chansons dont les enregistrements lui ont survécu. Frédéric Ouellet a écouté ces chansons ad nauseam pour savoir lesquelles utiliser dans le film. « Le but n'était pas de retenir seulement les succès, mais de sélectionner les chansons pertinentes », dit-il. Exemple parfait : la chanson Si vous avez une fille qui veut se marier, qui fait écho à un passage du film. Car si La Bolduc a fait carrière sur scène, elle avait d'autres projets pour sa fille Denise. Ce qui a eu un impact important sur leurs relations.

DES ÉLÉMENTS FICTIFS

Le film est une vision de l'histoire de La Bolduc dans laquelle les auteurs ont introduit des éléments fictifs. Le plus notable étant la rencontre, jamais survenue, entre elle et la militante féministe Thérèse Casgrain. « Nous ne voulions pas juste faire une musicographie ou une docufiction, dit Frédéric Ouellet. Nous souhaitions que l'histoire ait une pertinence aujourd'hui. De là l'idée d'aborder la condition féminine. Nous savons par contre que la fille de La Bolduc, Denise, allait à CKAC pour participer à un radioroman au même moment où Mme Casgrain y faisait des interventions. » « La relation que nous créons dans le film aurait donc pu être probable », ajoute François Bouvier.

DEUX FILMS DE L'ONF

Dans son immense filmographie, l'Office national du film (ONF) possède deux oeuvres se rapportant à La Bolduc. La première est le documentaire Swing la baquaise de Jean-Pierre Masse, sorti en 1968. Évidemment, La Bolduc, morte en 1941, n'est pas présente, sauf en photos et en chansons. Mais les soeurs Simone et Nana de Varennes, qui ont tourné avec elle, en parlent avec affection. En 1992, le réalisateur George Geertsen a pour sa part signé un chouette court métrage d'animation sur la chanson La bastringue.

Regardez le court métrage sur le site de l'ONF

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le réalisateur François Bouvier et le scénariste Frédéric Ouellet

IMAGE TIRÉE DE WIKIMEDIA COMMONS

Non seulement La Bolduc a chanté le quotidien, mais elle serait aussi la première auteure-compositrice-interprète au Québec.