Depuis L'esprit des lieux, sorti en 2006, la cinéaste Catherine Martin n'avait pas touché au documentaire. Elle y revient avec Certains de mes amis, hommage à l'amitié et aux gestes du travail qui, à ses yeux, possèdent un caractère sacré.

Q Pourquoi ce retour à la forme documentaire ?

R Le désir de revenir au réel, même si je dis souvent que pour la fiction, on écrit des histoires inspirées du réel. Ce qui est passionnant en documentaire, c'est qu'on ne sait pas toujours ce qui va arriver. En fiction, on peut davantage planifier. Mais pour moi, je fais d'abord du cinéma. Alors il n'y a pas d'étanchéité entre réel et fiction. J'exerce tout simplement mon métier.

Q Quelle est l'étincelle à l'origine de ce nouveau film ?

R Tout a commencé autour du peintre François Vincent, que je connais depuis plusieurs années. Il avait contribué à mon film Trois temps après la mort d'Anna en réalisant les toiles du personnage du peintre joué par François Papineau. J'ai eu envie de le filmer dans son atelier. De là, j'ai pensé à filmer d'autres personnes dans leur environnement de travail, leur quotidien.

Q Pourquoi cet intérêt pour le travail ?

R J'avais envie de travailler la durée des plans pour capter, dans la vie quotidienne, le caractère sacré des gestes du travail. Ce sont des gestes ritualisés dans nos vies. Je le fais aussi en fiction. Et je ne suis pas allée dans la vie personnelle des gens. Sauf pour Hugo (le dernier personnage du film est gravement ralenti par la maladie), mais dans son cas, c'est différent. Comme on me l'a fait observer, c'est comme si on le voyait travailler à vivre.

Q Travailler sur la durée des plans, qu'est-ce que ça apporte au spectateur ?

R Lorsqu'on accentue le regard sur un geste, un objet, on demande au spectateur d'entrer dans une image. Je pense que les spectateurs ont besoin d'un peu de liberté. Aujourd'hui, on nous impose des rythmes plus rapides pour capter le plus possible l'attention du spectateur qui s'oublie. Moi, je fais l'inverse. Je veux qu'il soit de plus en plus conscient qu'il est en train de regarder un film et qu'il est en train d'entrer dans une image. Je lui offre alors cette liberté de promener son regard dans l'image pour en saisir le sens. Cela lui donne la liberté d'interpréter.

Q Êtes-vous d'accord pour dire que vos films nous obligent à baisser la garde ? À nous abandonner ?

R Oui, et c'est pour la bonne cause. Je ne fais pas des films exigeants. Ce sont des films simples. On dirait qu'on ne se permet plus de s'abandonner pour avoir la liberté de réfléchir et de penser autour d'un film.

Q Diriez-vous que vous êtes une observatrice, une contemplative ?

R Contemplative, je l'accepte totalement. Dans mon travail, dans ma vie, je le suis. Je ne suis pas tout le temps assise à regarder le temps passer. Je suis dans l'action aussi, mais j'ai un rapport contemplatif aux gens et à ce qui m'entoure. Ça s'est fait au fil du temps et ça m'a apaisée aussi. D'ailleurs, plusieurs personnes m'ont dit avoir trouvé ce film apaisant.

Q Il est aussi question de vos amis dans ce film. Quelle définition donnez-vous de l'amitié ?

R C'est peut-être le fil rouge du film en ce sens que le regard que je porte sur les sept personnes en est un d'amitié. J'avais envie que le spectateur soit touché par eux, par leur manière d'être. Mais j'ai aussi voulu, comme en amitié, préserver le mystère de leur être. Même lorsqu'on est proche d'un ami, on ne connaît pas tout de lui. Il reste un mystère, et c'est ça qui est beau. Et l'amitié est fondamentale dans le rapport au monde, aux gens. C'est un sentiment aussi fort que l'amour. C'est une forme d'amour, en fait. L'amitié a été importante pour moi dans ma vie et elle l'est toujours.

Q Quel autre lien traverse le film ?

R La lumière. Je n'y ai pas pensé au moment où je tournais, mais au montage, je me suis rendu compte que la majorité des personnages évoquaient la lumière, soit par leur travail, soit parce que je les plaçais moi-même dans la lumière. Au début de chaque tableau, ils me regardent longuement dans l'objectif. Cela vient de mon amour de la peinture. Je me suis inspirée beaucoup de peintres, de photographes pour imaginer ces portraits. 

Certains de mes amis prend l'affiche aujourd'hui à la Cinémathèque québécoise.