Par son documentaire Des nouvelles du Nord ou son film Ce qu'il faut pour vivre, Benoît Pilon a révélé sa fascination pour le Nord, une exploration qu'il poursuit avec Iqaluit.

« Je pense que, comme cinéaste, j'ai intérêt à apprendre des choses quand je fais des films, à découvrir de nouvelles réalités, croit Benoît Pilon. Je pense que la plupart de mes confrères et consoeurs, nous avons ce désir d'explorer une part d'inconnu, une curiosité pour l'ailleurs. »

Ce qu'il y a de particulier avec le Nunavut, c'est cette impression qu'au-dessus de nos têtes existe un monde qui nous semble plus mystérieux que des destinations bien plus lointaines. Dans son film Ce qu'il faut pour vivre, le cinéaste racontait la déroute d'un chasseur inuit (Natar Ungalaaq), atteint de la tuberculose, forcé de séjourner dans un sanatorium de Québec, loin de ses repères. Dans Iqaluit, ce manque de repères appartient cette fois à une Blanche, Carmen (Marie-Josée Croze), obligée de séjourner dans la capitale du Nunavut après la mort de son mari (François Papineau), dans des circonstances mystérieuses qu'elle voudra élucider. « J'ai pensé que ce serait intéressant d'avoir une femme qui arrive là-bas pour la première fois, qui est un peu désemparée et qui cherche à comprendre l'endroit. »

Le réalisateur est lui-même est fasciné par Iqaluit, qu'il décrit comme un « Far-Nord » d'une étrange complexité. « Au Canada et au Québec, nous avons des territoires et des gens que nous connaissons très peu, note-t-il. Le film Le peuple invisible de Richard Desjardins, c'est un peu ça. Ces gens se rappellent à nous de temps en temps dans des nouvelles tragiques, mais ils ont une vie quotidienne, des enfants, des aspirations, ils travaillent, ils habitent un territoire. » 

« Ce qui est fascinant quand on arrive là-bas, c'est comment le territoire lui-même nous rentre dedans. »

Le spectateur vivra cette impression dans le film par le personnage de Marie-Josée Croze, perdue dans un univers dont elle ne connaît rien. Le principal souci du cinéaste dans son histoire était d'éviter l'enjolivement comme le misérabilisme, afin d'offrir un portrait juste de la réalité contemporaine d'une ville comme Iqaluit. « Quand tu arrives là-bas comme un Blanc, tu ne veux pas porter un regard qui juge, tu ne veux pas faire de l'angélisme non plus. Tu jongles avec tout ça et tu essaies d'être le plus sincère possible, sans tomber dans l'autocensure. J'ai construit cette histoire-là avec l'intention que certaines réalités ne soient pas occultées, mais qu'elles ne soient pas non plus le sujet principal du film. Ce que je voulais surtout était de raconter une bonne histoire. »

DÉFI DE TOURNAGE

Cet environnement, qu'on peut trouver hostile et transcendant à la fois, contribue à la désorientation de Carmen. Il n'y a aucune scène de nuit dans ce film dont l'histoire se déroule dans une période de l'année sans pénombre. « Mais nous avons triché », précise le cinéaste, qui a dû tourner à la fin du mois d'août pour des raisons techniques - la lumière d'Iqaluit est très particulière, paraît-il. Il y avait plusieurs défis pour ce film, en premier la distance et les coûts de transport, ce qui a demandé une équipe réduite. Le son aussi était quelque chose à maîtriser, un détail qui a fini par servir le cinéaste dans la création d'une atmosphère. 

« C'est une ville hyper bruyante, parce que, comme il n'y a pas d'arbres, le son réverbère. Si quelqu'un fait du marteau-piqueur à deux kilomètres, tu l'entends ! Il y a constamment des avions, de la construction, des quatre-roues. C'était un beau défi pour la prise de son, mais j'ai pu m'en servir, car si au début, quand Marie-Josée Croze arrive, j'ai voulu montrer une ville bruyante, tranquillement, quand le personnage commence à lâcher prise et à prendre contact avec le territoire, il y a un apaisement au niveau sonore. J'ai un peu joué avec ça. »

Iqaluit aujourd'hui

Avec ses contacts, Benoît Pilon a pu filmer dans tous les lieux de la ville, l'aéroport, l'hôpital, le collège, même les locaux de la GRC, avec pour résultat une illustration très juste d'Iqaluit aujourd'hui, et cela, en trois langues : le français, l'anglais et l'inuktitut.

« On ne se rend pas compte à quel point c'est un endroit qui se développe, explique Benoît Pilon. On en entend parler juste quand il y a des drames ou pour le développement ou quand Justin Trudeau y est de passage. Mais pour le Nunavut, c'est la capitale, où il y a des familles de la classe moyenne, des hommes d'affaires, des politiciens, des familles plus traditionnelles qui s'adaptent moins bien à cette modernité. Nous avons tendance à tous les mettre dans le même panier, mais c'est une communauté faite de toutes sortes de gens, des travailleurs, des intellectuels, des artistes, des décrocheurs, des chasseurs. C'est un concentré de la modernité inuite. »

Mais le cinéaste propose avant tout, bien humblement, une oeuvre au public. « J'espère que les gens vont voir que c'est une bonne histoire qui se passe dans le Nord et qu'ils vont entrer en contact avec une réalité qu'ils connaissent peu, ou pas. Pour moi, un film, c'est une expérience sensorielle, qui s'adresse à tes oreilles, tes yeux, tes sentiments. En même temps, il y a une aventure humaine là-dedans que, j'espère, on va apprécier. »

"Iqaluit" prendra l'affiche le 10 mars.

Photo fournie par Les Films Séville

Iqaluit

Photo fournie par Les Films Séville

Iqaluit