En se glissant dans la peau de l'explorateur océanique Jacques-Yves Cousteau, Lambert Wilson a revécu la relation complexe qu'il a lui-même entretenue avec son père, Georges, célèbre acteur de théâtre. L'odyssée s'immisce derrière l'image publique d'une icône dont on savait finalement peu de choses.

Quand le cinéaste Jérôme Salle (Anthony Zimmer, Largo Winch) lui a offert d'incarner Jacques-Yves Cousteau, Lambert Wilson a d'abord été surpris. Physiquement, peu de choses le rapprochent du personnage. «Mais instinctivement, j'ai accepté tout de suite, car j'étais certain que Jérôme allait offrir le rôle à quelqu'un d'autre! a raconté l'acteur au cours d'une rencontre de presse tenue récemment à Paris. Puis, peu à peu, l'idée s'est ancrée en moi. Oui, je peux perdre du poids, changer ma physionomie, porter un faux nez...»

Comme la plupart des Français de sa génération, Lambert Wilson a grandi en regardant à la télé les documentaires réalisés par le commandant de la Calypso, qu'il voyait un peu comme le grand-père idéal.

«Mais je ne connaissais pratiquement rien de sa vie, à part la perte de son fils Philippe, mort tragiquement dans un accident d'hydravion en 1979, indique l'acteur. J'aimais l'idée qu'on s'éloigne du biopic traditionnel en se concentrant principalement autour de la relation père-fils. Les gens ont été très attirés par l'idée de revivre les grands moments de la carrière de Cousteau, mais aussi un peu troublés par le portrait, je crois. L'homme était complexe, et sa vie comportait plusieurs facettes.»

Dans le dictionnaire

Lambert Wilson a en outre pu établir plusieurs liens avec ce qu'il a vécu lui-même pendant l'enfance et l'adolescence. Fils de Georges Wilson, sommité du monde théâtral, il a dû apprendre à grandir dans l'ombre d'une personnalité connue et admirée.

«Jacques-Yves Cousteau et mon père se sont retrouvés l'un comme l'autre dans le dictionnaire! lance-t-il. D'une certaine façon, ça s'incruste dans ton cerveau. Entre mon frère et moi, il y a la même différence d'âge qu'entre les frères Cousteau. Qui, eux, ne sont pas allés à l'école avant l'âge de 8 ans. Avant, c'était la plongée sous-marine, les voyages, l'aventure, le rêve. J'ai aussi passé du temps exceptionnel avec mon père dans la petite enfance. Ces hommes étaient dotés d'une philosophie très ouverte et nous inculquaient des valeurs de liberté non conventionnelles. Ils célébraient la beauté du monde avec un grand sens de l'originalité.»

Pour des enfants, cette vie peu ordinaire comporte évidemment un élément de magie. La réalité vient pourtant parfois les rattraper au moment de l'adolescence.

«Ça devient brutal le jour où l'on décide d'exercer le même métier, reconnaît l'acteur. C'est ce qui s'est passé, autant dans le clan Cousteau que dans le mien. Après que nos pères nous eurent transmis tout ça, il a fallu rivaliser avec eux et trouver notre place. Ce genre de combat est mortel. Ces hommes ont vécu la guerre. Ça les a peut-être rendus plus durs.»

Des zones d'ombre

Évoquer la vie intime d'une personne disparue force bien sûr les artisans du film à franchir une ligne ambiguë. D'autant plus que si l'image publique de Jacques-Yves Cousteau est bien connue, on sait peu de choses de sa vie personnelle, marquée par quelques zones d'ombre. Le réalisateur Jérôme Salle, qui signe aussi le scénario du film, a d'ailleurs rencontré plusieurs membres de la famille - au sein de laquelle règnent quelques conflits - , ainsi que des gens qui ont côtoyé le commandant, notamment des membres de l'équipage de la Calypso. Dans le film, Audrey Tautou incarne Simone, la première femme, et Pierre Niney prête ses traits au fils Philippe.

«Au bout du compte, tout cet aspect de leur vie leur appartient, fait remarquer Lambert Wilson. Qui sommes-nous pour juger du comportement du commandant? En même temps, on trace un portrait de l'homme.» 

«Déboulonner les statues constitue une grande tradition française. Cousteau était trop beau pour être vrai. En tant qu'explorateur, il a dû essuyer des critiques assez sévères en utilisant des techniques qui peuvent paraître choquantes aujourd'hui.» 

«Mais il a aussi été un militant écologiste à sa façon, souligne l'acteur. Le voyage qu'il a fait dans l'Antarctique avec son fils a été très marquant dans son parcours. Ce fut comme une prise de conscience.»



En Antarctique

L'odyssée reproduit d'ailleurs quelques-uns des plus célèbres voyages effectués par Cousteau, parmi lesquels cette fameuse expédition en Antarctique. Il s'agit d'ailleurs du tout premier film de fiction à tourner des scènes là-bas. Les conditions ont été difficiles - pas question d'emmener une équipe de cinéma entière sur place -, mais l'effort en a valu la peine. Le fait d'incarner le personnage a par ailleurs permis à Lambert Wilson de mieux comprendre l'homme qu'était Cousteau. 

«J'ai un immense respect pour lui, dit-il. Peut-être cela vient-il du fait que j'ai pu le comprendre à travers ce que j'ai moi-même vécu, et aussi grâce à la paix que j'ai faite avec mon père après sa mort. Ce travail d'acceptation m'a permis de recevoir avec sérénité la personnalité de Cousteau. J'aurais facilement pu le juger en tant que fils. Mais non. À l'arrivée, ces hommes, issus de la même génération, nous ont transmis quelque chose d'extraordinaire. 

«Cousteau, poursuit-il, avait cette capacité de pouvoir entraîner les gens dans ses aventures les yeux fermés. Il était doté d'un grand pouvoir de conviction. Et de séduction. J'appréhendais quand même un peu la réaction de la famille. J'estime que quand tu incarnes l'histoire de quelqu'un qui a vécu, tu as une responsabilité. Je n'ai jamais essayé de l'imiter, mais plutôt donner une idée de qui il était. Cela dit, ça reste une interprétation artistique.»

L'odyssée a pris l'affiche vendredi.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par Entract Films

L'odyssée est le tout premier film de fiction à tourner des scènes en Antarctique.