En plus de reprendre son personnage de Junior Bougon dans le film Votez Bougon, Antoine Bertrand fait partie de la distribution de deux films à l'affiche en France, dont Demain tout commence, avec Omar Sy. Il nous parle des retrouvailles avec la famille Bougon, des heureux hasards de sa vie, de son amour pour le Québec, du plaisir d'être connu, ainsi que de son refus de parler de son état de santé.

Quand nous l'avons rencontré, il sortait tout juste d'une entrevue pour le film Votez Bougon. La veille, il était revenu de Paris, où il était en tournée de promotion pour les films Le petit locataire, de Nadège Loiseau, et Demain tout commence, d'Hugo Gélin. Encore un peu en décalage horaire, il avait failli oublier notre entretien, alors il a compensé en faisant le cabotin. «Antoine Bertrand, portrait!», a-t-il répété très fort à notre enregistreuse. «Si je pouvais faire rire chaque fois que j'ouvre la gueule, je le ferais, dira-t-il un peu plus tard. Mais je suis mieux acteur qu'humoriste, parce qu'en plus, je peux faire brailler.»

Dix ans ont passé avant que le Québec retrouve la famille Bougon, cette fois au cinéma dans le film réalisé par Jean-François Pouliot. Un rêve devenu réalité pour Antoine Bertrand. 

«Je me disais qu'un jour, j'irais au cinéma et que dans les bandes-annonces, j'allais entendre le thème des Bougon et voir la famille apparaître. Les retrouver, c'était comme retrouver la famille, et mieux encore, parce que ce sont des amis.»

Il n'y a au fond qu'un seul problème avec Votez Bougon: il est presque trop d'actualité. Après l'élection de Donald Trump et l'arrivée de Rambo Gauthier dans le paysage politique, on ne sait plus trop s'il y a matière à rire. Antoine Bertrand est plutôt d'accord. «Je trouve ça déprimant qu'un scénario écrit il y a 10 ans soit autant d'actualité. Il n'y a rien qui a changé, sauf la conscience des gens. Il n'y a plus de doute que nous sommes gérés par des crosseurs - et je ne parle pas des politiciens.» 

Quant à Rambo, il estime que les médias n'apprennent pas de leurs erreurs. «Je me disais qu'après Trump, les gens comme ça ne seraient plus pris à la légère, comme une blague. Mais le pattern se reproduit. Ne rions pas de ça. Il va y aller. C'est ça qui est déprimant, mais comme tout le monde a de la copie à vendre, on va tous manger dans sa main jusqu'à l'élection, parce qu'il faut nourrir la bête. J'aime autant avoir peur de lui tout de suite.»

De Starbuck à Paris

Non, Antoine Bertrand ne s'est pas lancé dans une carrière française. Il affirme que c'est vraiment un hasard s'il s'est retrouvé dans la distribution de deux films français cette année. Deux propositions qui lui sont parvenues parce qu'il a marqué les agents de casting dans Starbuck il y a six ans, film dans lequel il interprétait l'ami de Patrick Huard. Coïncidence amusante, dans Demain tout commence, il joue aux côtés d'Omar Sy, révélé par le film Intouchables, alors qu'Antoine Bertrand a incarné ce personnage dans l'adaptation théâtrale au Québec! 

«C'est un drôle d'adon que deux réalisateurs français m'appellent dans la même semaine pour une audition parce qu'ils ont vu Starbuck. Je me suis filmé de façon un peu boboche avec mon iPhone en me disant que je n'en entendrais plus parler. Mais ils m'ont rappelé.»

Antoine Bertrand a donc passé quelques mois à Paris et à Londres pour les tournages, ce qui tombait bien puisque sa conjointe, Catherine-Anne Toupin, était aussi à Londres pour sa pièce À présent, qui a remporté un vif succès. «C'est la partie où je me vante de ma femme, souligne-t-il. Elle est dans le top 10 du Guardian des meilleures pièces! C'était une drôle d'aventure européenne.»

Qui risque bien de n'être qu'une aventure, même si Demain tout commence a déjà franchi le cap des 500 000 entrées. Antoine Bertrand n'a aucune envie de se trouver un agent en France, malgré cette formidable carte dans son jeu. «Je vais mettre des gants blancs, mais présentement, je dois les breaker un peu, dit-il, concernant les propositions qu'on lui fait. J'aime autant leur dire que ça ne me tente pas de faire carrière là-bas. C'est ici que je vis, c'est ici que je suis bien, j'aime la télé, le cinéma et le théâtre qu'on fait. Aller tourner une fois de temps en temps là-bas, aucun problème. Je trouve que la meilleure façon de s'exporter, c'est encore de faire de bonnes affaires ici, parce que c'est comme ça que c'est arrivé. C'est un film d'ici qui m'a fait connaître là-bas.»

Ambiguïté de l'ambition

Antoine Bertrand se considère comme «un paresseux qui travaille beaucoup». «C'est bizarre, je suis à la fois très ambitieux et pas pantoute. Mais je pense que quand j'étais jeune, je voulais en crime. C'est pour ça que j'ai fait autant de "tout nu" aussi! C'était important de me mettre le cul sur la mappe!»

On s'en souvient, il a, entre autres, montré un testicule dans la série Les Bougon, a posé en bobettes sur la une d'Urbania, et a parodié flambant nu Miley Cyrus dans le vidéoclip Wrecking Ball au Bye bye. Cette audace a toujours été payante pour Bertrand, à qui le public pardonne tout, et qui, à l'école de théâtre, avait été rangé dans la catégorie des «bizarres». «J'imaginais que j'allais faire des méchants à cause de mon gabarit, mais non, finalement. C'est ce que je trouve le fun aujourd'hui. Je n'ai pas juste fait des gros.»

En fait, il a souvent joué les bons gars, ce qui déteint un peu sur le beau rapport qu'il a avec le public, renforcé par ses sympathiques interventions comme «fou de la reine», Véronique Cloutier, lorsqu'il était aux Enfants de la télé. L'amour du public? Il aime ça et il en redemande. «Si je me mets dans les souliers du gars de 16 ans que j'étais et qui ne se voyait pas faire autre chose dans la vie, je dirais que je voulais être connu, avoue-t-il. Crisse, ça me tentait! C'est énormément d'amour qui rentre. Ça t'aide à ne pas être triste dans la vie quand t'as plein de monde qui te disent qu'ils aiment ce que tu fais. Je comprends ceux qui sont moins à l'aise avec ça, parce qu'il n'y a pas d'école pour ça, mais je vis très bien avec.»

Sauf en ce qui concerne sa vie privée. Il a beau être avec Catherine-Anne Toupin, en plus de lui donner la réplique dans la série Boomerang qu'elle écrit, les deux ne jouent pas trop la carte du couple et mènent des carrières autonomes. «Je nous trouve chanceux parce qu'on a bien géré ça. On en a beaucoup parlé dans la genèse de Boomerang, c'étaient des rôles parfaits pour nous, mais on ne voulait pas finir en "ti-couple". Les gens voient bien notre complicité, mais on n'est pas devenus gnangnans et gagas. Ce n'est pas dans nos personnalités non plus. Et c'est un travail de tous les instants de garder de la pudeur par rapport à nous.»

Se protéger

Chaleureux, drôle, franc et sans filtre, Antoine Bertrand a un charisme indéniable, et c'est ce qui lui a permis d'aller bien au-delà du casting qu'on lui destinait. Mais on sent que derrière cette bonhomie et cette stature imposante, se cache un être fragile. Deux fois, il aura les yeux dans l'eau lors de cet entretien: lorsqu'il parle de sa mère et du personnage de Louis Cyr. Les deux sont liés: il est allé chercher son prix d'interprétation en 2014 le jour même des funérailles de sa mère. «Ce qu'elle m'a donné, c'est l'instant présent. Je suis quelqu'un qui fonctionne à l'instinct, aux coups de coeur, pour le meilleur et pour le pire. J'essaie de ne pas trop me projeter dans l'avenir et de contrôler ce qui se passe là, maintenant, dans ma vie privée et ma carrière. Elle m'a installé ça très tôt et c'est toujours là.»

Aussi ouvert semble-t-il être, il peut se refermer comme une huître si on l'amène dans une zone où il ne veut pas aller. Dans toutes les entrevues où on lui demande de parler de l'infarctus qui l'a terrassé sur le plateau des Pays d'en haut, où il incarne le curé Labelle, il rembarre les journalistes et refuse d'aborder le sujet. Pourquoi? «J'ai de la misère à répondre, parce que ça remet le focus là-dessus. De ne pas en parler devient une histoire et c'est ça que je trouve plate, parce que je ne suis plus capable d'en sortir. La seule affaire que je peux dire, c'est que c'est réellement privé. L'affaire la plus privée que j'ai.»

Contrairement à bien des vedettes qui alimentent leurs réseaux sociaux, Antoine Bertrand n'a aucun compte Facebook, Twitter ou Instagram. «C'est comme fumer. Les fumeurs, si tu leur donnais le choix de revenir en arrière, ils n'auraient jamais commencé, et c'est la même chose avec les réseaux sociaux. Je ne veux pas être on 24 heures sur 24.»

Il est d'ailleurs en vacances jusqu'au mois de mai et son seul projet sera de voyager. «Ma blonde s'en va deux mois à Londres pour écrire, et quand elle écrit, je m'enlève de ses jambes. Après les Fêtes, je vais arriver à l'aéroport, je vais regarder les écrans et je vais décider où je vais. J'ai toujours rêvé de faire ça.»

Bref, c'est toujours l'instinct, le coup de coeur et l'instant présent qui comptent pour Antoine Bertrand.