Ils incarnent Pierre et Berthe, des jumeaux dont la relation est si fusionnelle qu'elle trouble profondément les rêves de Pierre, qui ne rêve pourtant que d'aller combattre les nazis. Émile Schneider et Juliette Gosselin entrent dans l'univers de Forcier par la grande porte, au sein d'une distribution haut de gamme. Un bonheur pour ces jeunes comédiens qui admirent son oeuvre.

Ils n'étaient pas nés quand la plupart des films de Forcier sont sortis, mais ils ont fait leurs devoirs. Non seulement Émile Schneider et Juliette Gosselin connaissent les films du cinéaste, ils sont aussi des fans. 

«C'est une drôle de circonstance, mais quand j'étais au cégep, il fallait faire un film de fin d'études sur un artiste québécois et j'avais choisi Forcier, raconte Juliette Gosselin. Il était même venu faire la narration!» 

«J'avais vu La comtesse de Bâton Rouge, et je m'étais dit, "c'est qui ce gars-là? je vais faire n'importe quoi pour savoir c'est qui", poursuit Émile Schneider. C'était deux ans avant de connaître son fils qui ne m'avait jamais dit que c'était son père. Je l'ai finalement rencontré, et ça m'a confirmé que c'était le genre de personnage qui n'était pas assez connu chez les jeunes.»

Ils s'entendent tous les deux pour dire qu'André Forcier est, en quelque sorte, un trésor national. 

«Chez André, tout est plus grand que nature, c'est décalé, c'est poétique», pense Juliette Gosselin.

«Il brise beaucoup de conventions, il défigure le réalisme qui est très présent dans le cinéma, croit pour sa part Schneider. On a de la misère à sortir du réalisme, jusque dans l'interprétation. Dans le film, on est tout le temps juste un petit peu à côté de ce qu'on dirait normalement. Je pense que Forcier est l'une des figures de proue des décolonisateurs de notre imaginaire.»

Ils n'ont pas auditionné ensemble avant d'être choisis, mais ils sont allés manger une lasagne chez André Forcier et la chimie a été parfaitement naturelle. Jouer dans un film de Forcier, à leur jeune âge, c'est aussi entrer dans un club d'acteurs et d'actrices enthousiastes qui ont toujours été fidèles au réalisateur. «Aucune expérience ne va ressembler à ça, souligne Gosselin. C'est vraiment un trip d'acteur. Tu sais que tu ne vas pas jouer toi-même, il amène les gens dans d'autres directions. C'est un calvaire pour moi de me voir dans un film, mais pas dans celui-là, car Berthe est tellement loin de moi. J'avais du recul.»

«Il aime beaucoup les gens avec qui il travaille. Et tu as envie de travailler avec quelqu'un comme ça», ajoute Émile Schneider.

«Il est d'une douceur, d'une délicatesse, d'une attention, d'une générosité, et du moment où il te dit oui, tu vas être dans le navire avec lui, et même qu'il va te ramasser parfois. Il est un humain très humain, avec ses défauts et ses qualités, mais cette sincérité là, je l'ai rarement vue de façon aussi vibrante et vivante.»

Puisque tout est possible dans l'univers de Forcier, ils n'ont pas du tout été mal à l'aise en ce qui concerne le désir incestueux de Pierre et Berthe. «Je n'ai jamais vu ça comme quelque chose de pervers ou de malsain, j'ai juste été touchée par leur relation», confie Gosselin.

Émile Schneider, un amoureux de la poésie, déplore la disparition de la contre-culture au Québec, ainsi que des lieux mythiques comme la Médiathèque Gaëtan-Dostie, menacée d'expulsion. Jouer dans un film de Forcier n'est pour lui rien de moins qu'un cadeau. «C'est un objet en soi, c'est une fresque. Tu peux décomposer ce film dans tellement de dimensions, mais je pense qu'il faut suivre la poésie du texte. D'avoir encore des humains qui s'accrochent à ça dans leurs créations, c'est tellement rare. J'ai senti que de faire un film comme ça, en 2016, s'inscrit dans une démarche de création du cinéma au Québec et que, pour tous les jeunes qui veulent en faire, c'est un pont entre les générations. On va bientôt entrer dans une nouvelle ère du cinéma, avec des technologies qui se développent rapidement, et on a tourné comme on le faisait avant. On voyait sur le plateau les techniciens de la vieille garde et les jeunes qui apprenaient. C'était magique. Il faut protéger notre cinéma, nos lieux de culture, il faut en prendre soin, comme il faut prendre soin d'André Forcier.»