Avec Alexis Martin, le réalisateur de Gaz Bar Blues a écrit une comédie dramatique dont le ton s'inscrit dans la tradition du cinéma de Gilles Carle ou de Francis Mankiewicz. Mais le cadre est bien contemporain...

Même si le phénomène ne fait guère les manchettes, la culture du cannabis serait en bonne santé au Québec. Particulièrement en région. Voilà le constat qu'a fait Louis Bélanger en préparant Les mauvaises herbes, une comédie dramatique dont les têtes d'affiche sont Alexis Martin, Gilles Renaud et Emmanuelle Lussier-Martinez, une révélation.

«Pas une semaine ne passe sans que quelqu'un, quelque part, ne se fasse buster, souligne le cinéaste. Cela dit, l'idée de ce film est née de plusieurs choses. Il y a d'abord eu la lecture du roman La forêt des renards pendus d'Arto Paasilinna, un auteur finlandais que j'admire. Ses personnages vivent en autarcie dans une région du nord de la Finlande dont la description ressemble à celle qu'on peut faire de l'Abitibi. Et puis, Robert Morin avait au lac Simon un ami - aujourd'hui décédé - qui m'a beaucoup inspiré pour le personnage qu'incarne Gilles Renaud. Ensemble, ils étaient à la fois drôles et touchants. L'intelligence instinctive rurale est confrontée à celle venue de la ville. J'aime cette dynamique.»

Apprendre le «vivre ensemble»

Un peu comme dans Gaz Bar Blues, des personnages aux intérêts divers se retrouvent ainsi confinés dans un même lieu. Et doivent apprendre le «vivre ensemble». Alexis Martin se glisse dans la peau de Jacques, un acteur de seconde zone, criblé de dettes, qui doit fuir la grande ville en coup de vent le jour où des créanciers peu conciliants se lancent à ses trousses.

Simon (Gilles Renaud), dont la ferme isolée est spécialisée dans la culture de la marijuana, recueille le comédien au milieu de nulle part et offre le gîte à ce dernier. Le mauvais hasard force une jeune femme (Emmanuelle Lussier-Martinez), dont le travail est de relever les compteurs d'électricité, à se joindre au duo.

Après Route 132 et le documentaire Louis Martin et le nouveau journalisme, Alexis Martin et Louis Bélanger mettent de nouveau leurs talents en commun. Le cinéaste estime que son univers s'harmonise très bien à celui du dramaturge.

«Alexis et moi, nous sommes deux grandes gueules, déclare Louis Bélanger. Notre scénarisation passe beaucoup par les dialogues. Je ne m'inscris pas du tout dans la veine contemplative du cinéma québécois.»

Dans un premier temps, le cinéaste laisse ainsi aller l'imagination de son coscénariste. Ce n'est que plus tard dans le processus qu'il intervient.

«Mon rôle est de transformer ce matériau pour en faire du cinéma, explique-t-il. Même s'il y a des moments plus loufoques, je tiens à ce que tout reste ancré dans une vraie réalité, que le récit reste plausible. Je crois sincèrement que notre écriture s'est bonifiée. Le mélange entre la comédie et le drame est à mon sens plus abouti.»

«Même si mes films ne coûtent pas très cher, le genre de la comédie dramatique n'est jamais rassurant aux yeux des institutions. On préfère les distinctions plus précises.»

Le genre de la «comédie dramatique» étant très large, Louis Bélanger évoque notamment le cinéma de Jiri Menzel ou de Milos Forman pour décrire son approche, tout autant que la grande époque du cinéma italien. Surtout, il compte poursuivre une tradition déjà bien établie au Québec, notamment grâce à des cinéastes comme Gilles Carle et Francis Mankiewicz.

Un clin d'oeil involontaire à Birdman

Au cours des toutes premières minutes des Mauvaises herbes, les cinéphiles ne tarderont pas à tracer un parallèle avec Birdman, film d'Alejandro González Iñárritu primé aux Oscars l'an dernier. La scène montre en effet Jacques quitter le théâtre en cours de représentation pour aller prendre une pause dans un commerce en face, au son d'une trame musicale - signée Guy Bélanger - où priment les percussions.

«Quand j'ai vu le film d'Iñárritu dans un avion l'an dernier, je me suis dit que mon chien était mort, lance Louis Bélanger. Nous avons pourtant écrit cette scène-là il y a trois ans! J'aurais voulu que la pièce de Led Zeppelin Moby Dick l'accompagne, mais les droits étaient beaucoup trop chers. Évidemment, on m'en parle beaucoup, même si les deux histoires empruntent vite des trajectoires très différentes. À chaque fois, je peux seulement dire: tant pis. J'assume !»

Éviter les clichés

Aux vétérans Gilles Renaud et Alexis Martin se joint par ailleurs une jeune comédienne, Emmanuelle Lussier-Martinez, qui parvient à tirer adroitement son épingle du jeu. Révélée au théâtre grâce à Tu te souviendras de moi, où elle donnait la réplique à Guy Nadon, l'actrice marque le film de sa présence singulière.

«Mon intention était d'éviter les clichés à tout prix, précise le cinéaste. Je ne voulais surtout pas suggérer une quelconque liaison plus ambiguë entre les personnages. Emmanuelle, ce fut un vrai coup de coeur. Je ne procède pas souvent par auditions, mais là, je voulais trouver une comédienne ayant des origines latines, qui s'exprime en joual. Quand Emmanuelle est arrivée, c'était l'évidence. Son attitude frondeuse m'a plu. Dès l'essai qu'elle a fait avec Gilles, on a senti qu'il se passait quelque chose.»

Les mauvaises herbes est aussi un film d'hiver, une saison que Louis Bélanger a toujours voulu filmer.

«Qu'on pense à des films comme La vie heureuse de Léopold ZMon oncle AntoineGina ou Kamouraska, l'hiver fait partie de notre ADN, fait-il remarquer. Pour un cinéaste québécois, il constitue aussi un passage initiatique. Je suis très heureux du film, particulièrement sur le plan cinématographique. Avoir la chance d'être épaulé par un directeur photo comme Pierre Mignot pour filmer l'hiver, ce n'est pas rien!»

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Les mauvaises herbes prendra l'affiche le 11 mars.

PHOTO PHILIPPE BOSSÉ

Alexis Martin et Gilles Renaud dans le film Les mauvaises herbes de Louis Bélanger.