Dix ans ont passé depuis que Marc-André Grondin a reçu un Jutra pour son inoubliable rôle de Zac dans le fameux C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée. Nous avons profité de la promotion du film d'animation Avril et le monde truqué, dans lequel il prête sa voix au personnage de Julius, pour faire le bilan de la carrière qu'il mène sur deux continents et dans plusieurs accents. Portrait d'un acteur passionné des plateaux, plus que de sa personne.

Du fait qu'il travaille en France, au Canada, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, et qu'il est discret dans les médias, nombreux sont ceux qui pensent que Marc-André Grondin est toujours ailleurs, alors qu'il passe la majeure partie de son temps à Montréal, son point d'ancrage. «Ma famille et mes amis sont ici, note-t-il. J'ai la chance d'avoir pu travailler en France sans avoir à déménager là-bas. J'aime beaucoup Paris, c'est devenu une deuxième maison, mais je préfère rentrer à la maison. Ça fait 10 ans que je suis dans mes valises, alors quand je ne travaille pas, j'ai envie d'être chez moi, dans mes affaires.»

En effet, Marc-André Grondin a passé une décennie à voyager entre deux continents, récoltant au passage le César du meilleur espoir masculin en 2009 pour Le premier jour du reste de ta vie, et donné la réplique aux plus grandes pointures du cinéma français. Tout en incarnant un hockeyeur dans le film canadien Goon (qui aura une suite) avec son ami Jay Baruchel, le controversé Michel Dumont dans L'affaire Dumont et, plus récemment, un nettoyeur de scènes de crime dans la série britannique Spotless. Enfin, il fera bientôt un grand retour à la télé québécoise dans la prochaine série d'Annie Piérard et Bernard Dansereau, L'imposteur.

Tout ça, en grande partie, il le doit à C.R.A.Z.Y. Pas une semaine ne passe sans qu'on lui en parle, encore. Le film portait bien son nom, car c'était vraiment la folie autour de Grondin en 2005. Il rappelle qu'à l'époque, il a dû quitter son emploi dans un HMV puisque tout le monde le reconnaissait. Juste avant ce succès, il pensait s'inscrire à un cours d'ébénisterie! «Je ne me voyais pas nécessairement délaisser les plateaux, car j'aime ça plus que le métier d'acteur. Je me voyais y faire autre chose, s'il n'y avait pas de contrats. Mais quand le film est sorti, c'était surréaliste, des agences américaines voulaient me signer, on m'envoyait des scénarios français... Je me suis retrouvé à faire un an de promo, de premières, de festivals. J'avais 22 ans. C'est sûr que j'ai fait le party, sans tomber dans "l'enfer de la drogue", mais j'ai fait mon trip.»

Il s'est passé ensuite quelque chose qui fait penser aux trajectoires des Roy Dupuis, Brad Pitt ou Leonardo DiCaprio dans leur refus de jouer «les beaux gars». Une méfiance envers le star-système, une curiosité pour des rôles et des projets différents, une vie privée jalousement gardée.

On a envie de faire le jeu de mots, car cela lui correspond tout à fait: Grondin est «groundé». Et il s'estime chanceux. «Je pense que de travailler depuis que je suis bébé m'avait bien préparé. J'avais de bons parents. J'ai appris des erreurs des autres.» 

«J'ai vu de jeunes acteurs très talentueux devenir "big" et ça ne durait pas, parce qu'ils étaient mal entourés. J'ai su bien m'entourer.»

Et jusqu'à présent, aucun regret, affirme-t-il. «Il y a peut-être deux rôles que je regrette d'avoir acceptés, mais je prendrais encore la même décision. Je pense que c'est bien de faire des erreurs, sinon on ne s'améliore pas. Si tu te fais dire tout le temps que t'es beau, t'es bon, t'es fin et que t'es le prochain quelque chose, je pense que ce n'est pas sain. C'est important de ne pas faire juste des bons coups. Personne ne peut avoir une carrière parfaite. Je pense que Robert De Niro nous le prouve depuis cinq ans... [rires].»

De l'importance de l'audace

S'il est muet sur sa vie privée, Marc-André Grondin, et c'est connu, n'a pas la langue de bois quand il prend la parole. Il estime que le Québec devrait investir beaucoup plus dans ses productions. Parce que ça donne énormément d'emplois. Parce que c'est payant. Parce que c'est vital pour sa survie. Et pour lui, les polémiques récurrentes sur les Jutra ou la pertinence du cinéma québécois ne sont que de la poudre aux yeux ou des lubies de chroniqueurs en manque de clics. «S'il n'y a plus de cinéma ou de télé en français, c'est fini, il n'y en a plus de Québec!», tranche-t-il. 

«On chiale, comme au hockey, on a peur des Américains, du Canada anglais, des immigrants, mais la seule personne qui nous nuit et qui nuit à notre culture en ce moment, c'est nous-mêmes.»

«Ce n'est pas péjoratif de ma part, mais le Québec, c'est un village, quand même. Tout le monde est subventionné aussi. On brasse toujours les mêmes affaires, on aime pointer du doigt, mais il n'y a pas beaucoup d'actions qui sont prises. En Finlande ou en Suède, est-ce que leurs films font moins de box-office qu'un James Bond? Ben oui. Est-ce qu'ils capotent et remettent en question leur cinéma? Non. Est-ce qu'ils sont fiers quand un de leurs films gagne un prix à l'étranger? Oui. On n'a pas les moyens des Américains, mais on peut faire des choix.»

Il y a de la graine de producteur chez Grondin, qui ne cache pas son désir de toucher à cet aspect du métier, parce qu'il se dit admiratif du talent des autres, et parce que rien ne lui fait plus plaisir que de faire se rencontrer des gens doués qui n'ont pas ses contacts. «Depuis plusieurs années, on voit à quel point il y a de l'argent à faire en télé. Des compagnies comme Netflix font des milliards et investissent dans des séries. Je vois des petits marchés, comme le Danemark, qui ont trois séries qui ont été adaptées aux États-Unis, ou une chaîne télé qui a décidé de couper dans les émissions de variétés pour mettre le budget sur une grande série. Malgré tout, au Québec, on continue de couper. On tape sur la tête de Fabienne Larouche - et oui, je pense qu'il y a eu des problèmes - mais il n'y a pas d'argent, c'est difficile de produire et d'accoter un peu ce qui se fait à l'étranger. Mais ça n'empêche pas les gens de toujours voter pour les mêmes personnes qui coupent, hein?»

Il déplore du même coup le manque de diversité dans les distributions, et cite en exemple son expérience dans Spotless. «Une série qui se passe à Londres, dont les deux personnages principaux sont français et l'un joué par un Québécois, entourés de plein de personnages de toutes les couleurs avec des accents. J'ose croire que ça va changer avec ma génération, qui aura une vision différente d'un melting-pot plus représentatif de ce qu'on voit dans la vie.» 

«Je trouve que notre télé est blanche, francophone, et que tout le monde a le même accent. Dans ma vie de tous les jours, ce n'est pas comme ça.»

Cette diversité, il l'espère aussi pour les femmes. Car lorsqu'on lui demande où il se voit dans 10 ans, il constate tout de suite, dans son enthousiasme, l'injustice entre les sexes. «Je pense que j'ai la grande chance d'être un homme dans un milieu intéressant et qu'il est beaucoup plus facile pour un homme de vieillir au cinéma et à la télévision que pour une femme, malheureusement. En vieillissant, elles ont plus de difficulté à trouver des rôles, parce qu'on choisit souvent des jeunes filles. On aime mettre un gars de 60 ans en couple avec une fille de 30 ans. Tandis que les gars, après 40 ans, il y a comme une porte qui s'ouvre vers des rôles encore plus intéressants. Dans 10 ans, j'ai l'impression que je vais faire des choses encore plus excitantes que ce que j'ai fait dans les 10 dernières années.»