Le film qui a reçu la Palme d'or du Festival de Cannes, l'an dernier, aborde la question de l'intégration, au moment même où la crise des réfugiés se trouve à l'avant-plan de l'actualité internationale.

Le hasard a fait en sorte que Dheepan sorte au moment même où l'Europe devait faire face à un important flot migratoire, découlant de la crise en Syrie. Forcément, le nouveau film de Jacques Audiard a été vu à l'aune de cette tragédie collective. Rencontré l'automne dernier lors du Festival de Toronto, où son film a été lancé en primeur nord-américaine, le cinéaste tenait quand même à faire la part des choses.

«J'ai travaillé sur ce film pendant quatre ans, explique-t-il. Au départ, j'avais l'intention de m'attaquer à un remake du film de Sam Peckinpah, Les chiens de paille (Straw Dogs). Le projet a évolué autrement le jour où le scénariste Noé Debré a suggéré l'idée de nous attarder à des étrangers qui tentent de se construire une nouvelle vie en France sans maîtriser ni la langue ni les codes. Dheepan est avant tout une histoire d'intégration, pas de survie. Mais si ça peut mettre des visages sur la crise des migrants et la rendre plus concrète sur le plan humain, tant mieux.»

Dheepan est le nom du héros de ce film français, tourné presque entièrement en langue tamoule. Jesuthasan Anthonythasan, en lice dans la catégorie du meilleur acteur à la prochaine cérémonie des Césars du cinéma français, a été enfant soldat au Sri Lanka. Il a fui son pays à la fin des années 80 et a gagné la France en 1993. Il est maintenant écrivain. Kalieaswari Srinivasan, sa partenaire de jeu, a fait du théâtre en Inde, mais elle n'avait encore jamais tourné dans un film pour le cinéma.

Une cité «sensible»

Audiard dirige les deux recrues de main de maître dans cette histoire où elles incarnent un faux couple, histoire d'entrer en France, qui tente de se construire une nouvelle vie dans une banlieue de Paris. Or, l'environnement dans lequel ils échouent, celui d'un immeuble vétuste dans une cité dite «sensible», aura tôt fait de leur rappeler les horreurs vécues pendant la guerre civile dans leur pays d'origine.

«J'ai commencé à me renseigner sur le sujet et je m'y suis vraiment intéressé, indique le cinéaste. Mais pour moi, le processus de recherche et de documentation doit prendre fin, à un moment donné. Sinon, on risque d'être vampirisé par l'aspect documentaire.» 

«Je veux que le cinéma intervienne. Je vise le vraisemblable davantage que le réalisme. On invente tout ce qu'on montre.»

Reconnu comme un grand directeur d'acteurs, de Mathieu Kassovitz (Un héros très discret) à Matthias Schoenaerts (De rouille et d'os), en passant par Emmanuelle Devos (Sur mes lèvres), Romain Duris (De battre mon coeur s'est arrêté), Tahar Rahim (Un prophète) et bien d'autres, Jacques Audiard fait face cette fois à un vrai défi. Non seulement les acteurs qu'il dirige n'ont pas - ou très peu - d'expérience, mais le cinéaste ne comprend strictement rien à la langue qu'ils parlent.

«Ce fut l'occasion pour moi de faire un voyage important, dit-il. Autant les acteurs se sont fiés à moi, autant j'ai moi-même dû m'abandonner à eux. Je ne pouvais pas m'appuyer sur un système normatif et je n'avais pas de repères. Habituellement, je ne fais pas beaucoup de prises, mais là, j'ai senti le besoin d'en faire plus. Cela dit, on n'a pas vraiment besoin de comprendre la langue pour mesurer la réussite d'une scène. Ça saute aux yeux.»

Un épilogue... discutable?

Lors de la présentation cannoise, l'épilogue du film a beaucoup fait parler. Il parle de l'espoir qu'entretient la protagoniste depuis son départ du Sri Lanka: rejoindre une cousine en Angleterre. Certains y ont vu une comparaison - et une critique - de deux modèles d'intégration.

«Dans l'une des premières versions du scénario, Yalini voulait plutôt aller à Düsseldorf, en Allemagne, précise Audiard. On m'aurait alors sans doute accusé d'opportunisme fou et de glorifier les politiques d'Angela Merkel! Trêve de plaisanterie, il est indéniable que les Tamouls ont davantage de liens avec la culture britannique, tout simplement pour des raisons historiques. Yalini répète sans arrêt qu'elle veut aller chez sa cousine à Londres. J'ai donc fait écho à ce rêve dans l'épilogue.

«Mais en aucun cas, poursuit-il, il ne s'agissait de faire l'éloge d'un système d'intégration par rapport à un autre, pas du tout. Cela n'était pas mon projet. En fait, Dheepan raconte surtout l'histoire d'un homme qui entre dans le désir de la femme qu'il aime. Et qui aspire à un bonheur simple.»

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À l'affiche le 12 février.