Nommé deux fois aux Oscars et réalisateur de l'un des 10 plus grands succès de l'histoire du cinéma d'animation, Kung Fu Panda, Mark Osborne a laissé Dreamworks pour adapter Le petit prince de Saint-Exupéry par «amour du livre». Entretien avec un cinéaste indépendant amoureux d'un petit prince.

Comment s'est déroulé le tournage à Montréal, où vous avez vécu pendant près de deux ans?

C'est une ville merveilleuse. Je suis très fier de l'équipe que nous avons mise en place avec des artistes du monde entier, dont une majorité de Québécois. Nous faisions à la fois la 3D et la stop-motion dans deux studios montréalais. En me promenant entre les deux, j'ai pu admirer la ville. Faire un film est toujours stressant, mais c'est plus facile avec des gens extraordinaires comme les Canadiens.

Est-ce que le fait de tourner à l'extérieur des grands studios vous a assuré plus de liberté créative?

Il y a des avantages et des désavantages. Je pense que j'ai pu faire des choses que je n'aurais pas pu faire en travaillant avec un grand studio. On a pu prendre des risques, en faisant de la vedette du film une petite fille. Par contre, on n'avait pas toutes les ressources que le système de studio peut offrir. La production ressemblait à un train pour lequel on posait les rails au fur et à mesure.

Le prochain sera-t-il tourné en studio ou s'agira-t-il d'un film indépendant?

Ce qui dicte mon choix, c'est l'histoire d'abord et avant tout. Avec Le petit prince, le matériel est irrésistible et nos ambitions artistiques ont créé de petits miracles. Je suis ouvert, mais je crois que je suis un cinéaste indépendant dans l'âme. J'aime innover.

On retrouve dans le film les thèmes du Petit prince - perte de l'innocence, découverte de l'amour, jalousie -, mais aussi une certaine critique de notre monde moderne.

C'est une extrapolation de ce qui est présent dans le livre de Saint-Exupéry. Il était critique à l'endroit du monde des adultes. Quand j'ai relu le livre, ces critiques présentes en 1940 m'ont sauté aux yeux. J'avais le devoir d'en rendre compte. Les films d'animation ne sont pas que pour les enfants. On voulait que le film fonctionne comme le livre, pour tous les âges et toutes les cultures. L'important était de respecter l'esprit du livre.

Au coeur du film, la stop motion permet de nous replacer face au livre comme objet. C'est poétique sans être nostalgique.

Oui, parce que le contenu du livre est beaucoup plus grand que le livre lui-même. Je voulais que ce soit magique en créant une expérience cinématographique nous permettant d'atteindre le lyrisme du livre. Ce n'est pas un hasard s'il existe ce contraste si grand entre la vie réelle dans le film en 3D et l'imaginaire représenté en papier. C'est un parallèle à notre vie moderne, déconnectée de l'imagination. Peu importe où vous lisez Le petit prince, cela crée une oasis dans notre vie.

Aux deux tiers du film, le récit s'emballe et ressemble davantage à un film d'action. C'était voulu?

Non. On voulait suivre le personnage principal, comprendre les peurs et les angoisses de cette petite fille forte. C'est une extrapolation du livre face à l'idée de devenir adulte dans un monde froid et empoisonné. Elle vit, seule, un cauchemar, mais elle poursuivra et trouvera ses propres réponses. L'histoire continue, comme dit le livre.

Est-ce que l'auditoire américain aimera ce genre de film, vous croyez?

Notre devoir était de faire quelque chose d'inattendu. On a fait le meilleur film qu'on pouvait faire, et je veux dire par là absolument tous les artisans du film. Ils peuvent en être fiers. La réception est déjà bonne dans le monde avec 100 millions de recettes. Même si le premier week-end n'est pas explosif aux États-Unis, j'espère que le film passera l'épreuve du temps, comme le livre.

Le film a reçu un accueil mitigé en France. Êtes-vous déçu?

Je crois que ce n'était pas une bonne idée de le sortir pendant l'été. C'est un film émotif, pas un blockbuster. Je savais que cela allait être ardu avec le public français. Les gens se demandaient comment un cinéaste américain pouvait réaliser Le petit prince... Mais j'ai reçu de très beaux messages de jeunes Françaises, et ça me réconforte.