En français, comme en anglais, comme dans probablement une foule d'autres langues, quand les adultes cherchent à rassurer les enfants, ils leur disent de ne pas s'en faire, que tout va bien, que tout ira mieux. C'est un peu le sens du titre du dernier long métrage de Wim Wenders, Every Thing Will Be Fine, dont le titre en français n'est malheureusement pas à la hauteur. Le film sort en effet chez nous sous le titre Un meilleur temps viendra, qui n'est pas exactement le titre du siècle. Wim Wenders en est bien conscient.

Lors de son passage à Montréal cet automne, il m'a d'ailleurs affirmé que le titre qu'il aurait préféré est celui que son bon ami Claude Chamberlan, du FNC, lui a soufflé à l'oreille: «Tout va être ben correct».

Mais Wim Wenders n'avait pas le choix puisqu'il ne décide pas des titres étrangers de ses films ni de la façon de les distribuer. Pour tout dire, le réalisateur de Paris, Texas et des Ailes du désir ne semble pas décider de grand-chose ces jours-ci. C'est ce qui explique pourquoi son long métrage précédent - Palermo Shooting - remonte à plus de sept ans.

«C'est difficile de faire des films de nos jours. Avant, je faisais un film par année, mais les règles ont changé. Faire un film de fiction aujourd'hui, ça prend une éternité avant de trouver le financement et d'arriver à ce que tous les différents partenaires s'entendent. Ça finit par être très lourd.»

Même pour Wim Wenders? «Oui, même pour moi.»

Notre dernière rencontre a eu lieu à Montréal il y a quatre ans à l'occasion de la sortie du magnifique Pina, un documentaire en 3D sur la chorégraphe Pina Bausch. À l'époque, Wenders ne jurait que par le 3D et avait promis de tourner uniquement en 3D à l'avenir. Il a tenu promesse. Every Thing Will Be Fine, qui met en vedette James Franco, Charlotte Gainsbourg, Marie-Josée Croze et le jeune Robert Naylor, est en 3D, tout comme son prochain long métrage, Les beaux jours d'Aranjuez, tourné l'été dernier en France.

Une fiction en 3D

Every Thing Will Be Fine n'est pas la première fiction qui se déploie en 3D, mais c'est à coup sûr un des premiers drames intimistes dénués d'effets spéciaux qui exploite la technologie 3D. Or, le résultat n'est pas toujours concluant. Les images et les paysages balayés par le vent et la neige d'Oka, où le film a été tourné, sont à couper le souffle. Malheureusement, les lunettes qu'il faut porter pour les apprécier ne sont pas toujours de la première qualité. Par moments, même, ces lunettes font écran à l'émotion des personnages. Wenders concède que les améliorations techniques tardent à se manifester dans le merveilleux monde du 3D.

«Le 3D est encore un peu vulnérable. Par moments, l'effet peut être glorieux. À d'autres moments, c'est défaillant. Un jour, nous n'aurons plus besoin de lunettes pour regarder un film en 3D. C'est sûr que l'évolution de la technologie va dans cette direction, mais nous n'y sommes pas encore.»

Pour ce qui est d'Every Thing Will Be Fine, il s'agit de sa deuxième collaboration avec le scénariste norvégien Bjørn Olaf Johannessen. Les deux ont travaillé auparavant sur Les cathédrales de la culture, un documentaire qui explorait six lieux architecturaux d'exception, depuis Berlin jusqu'à Oslo en passant par Saint-Pétersbourg et Paris. Cette fois, sur fond de poudrerie québécoise, les deux nous racontent l'histoire d'un écrivain (James Franco) qui, un jour de tempête de neige et de dispute conjugale, tue par accident, avec sa voiture, un enfant. La vie continuera, mais l'écrivain hanté par le remords mettra des années à s'en remettre.

Wenders affirme que c'est un film sur la culpabilité qui se déroule sur une période de 14 ans. «Parce que ça prend au moins 14 ans pour guérir un traumatisme comme celui-là et ce n'est pas seulement le temps qui le guérit, c'est les gens eux-mêmes quand ils finissent par se pardonner.»

Perdre un enfant

Fable sur la culpabilité, le film traite aussi, de manière à la fois sensible et souterraine, de la peur d'avoir des enfants, mais surtout de la peur de les perdre. La mise en scène est menée avec une telle finesse psychologique qu'on se dit que Wim Wenders a dû perdre un enfant pour savoir rendre cette peur avec autant d'acuité. Or il n'en est rien. Même s'il a été marié six fois, Wim Wenders n'a pas eu d'enfants. «Mais, plaide-t-il, je suis le parrain le plus populaire de la planète puisque j'ai une douzaine de filleuls. Les enfants, j'aurais bien aimé en avoir, mais des conditions échappant à mon contrôle m'en ont empêché. Mes enfants, aujourd'hui, ce sont mes films.»

S'il dit vrai, alors, Wim Wenders, qui a eu 70 ans cette année, est le père d'une famille nombreuse qui compte pas moins de 22 films. Tous n'ont pas connu un égal succès, mais tous ont su immortaliser sur grand écran un pays, un paysage, un visage, une ville. Dans le cas d'Every Thing Will Be Fine, la nature québécoise y est montrée dans toute sa blanche et froide splendeur. Mais Montréal y fait aussi une brève apparition. Dans une scène, on voit James Franco marcher dans Montréal, puis traverser l'Agora, la célèbre place conçue par Charles Daudelin, que le maire Coderre a voulu raser. J'ai cru que, sachant la place menacée, Wenders avait délibérément voulu prolonger sa vie à l'écran. Mais il ignorait la controverse.

«Dès que j'ai vu cette place, j'en suis tombé amoureux, raconte Wenders. J'ai insisté pour qu'on y tourne une scène. Mes producteurs ont tout fait pour m'en dissuader à cause du bruit et du trafic, mais j'ai tenu bon. Cette place est magnifique, ce serait un scandale de la détruire.»

Depuis, l'Agora a été sauvée des marteaux piqueurs. Quant à Wim Wenders, il est retourné à Paris. Le jour des attentats, il inaugurait une exposition de photos dans une galerie et constatait, sans doute comme nous tous, que tout ne sera pas «correct» avant longtemps.

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Every Thing Will Be Fine prendra l'affiche le 11 décembre.

Wim Wenders en six films

Alice dans les villes, 1974

Ce n'est pas son premier long métrage, mais c'est le film qui annonce la petite musique impressionniste sur fond de paysages urbains désolés qui fera sa marque. Avec Liza Kreuzer dans le rôle de la mère dépressive et Yella Rottländer dans le rôle d'Alice, 9 ans.

L'ami américain, 1977

Film culte avec le sublime Bruno Ganz et Dennis Hopper dans le rôle du fourbe américain. Hommage aux films noirs de sa jeunesse, L'ami américain met en vedette six cinéastes et mentors de Wenders, dont Gérard Blain, Jean Eustache, Samuel Fuller et Nicholas Ray.

Paris, Texas, 1984

Avec Nastassja Kinski et Harry Dean Stanton. Scénario de Sam Shepard. Musique envoûtante de Ry Cooder. Palme d'or à Cannes. Considéré par plusieurs comme son chef-d'oeuvre.

Les ailes du désir, 1987

Pour les autres, c'est ce film-là qui est son chef-d'oeuvre. Scénario de Peter Handke. Musique de Nick Cave. Prix de la mise en scène à Cannes avec Solveig Dommartin dans le rôle de la trapéziste, Bruno Ganz dans celui de l'ange, Peter Falk en lui-même, Berlin et son mur en toile de fond.

Buena Vista Social Club, 1999

Le documentaire qui l'a établi comme documentariste hors pair et qui nous a fait découvrir les plus grands musiciens oubliés de La Havane.

Pina, 2011

Son premier film en 3D, un documentaire d'art magnifique sur Pina Bausch, une chorégraphe marquante disparue quelques jours avant le début du tournage du film.