Depuis de nombreuses années, la réalisatrice britannique Sarah Gavron voulait porter à l'écran l'histoire des femmes qui se sont battues dans son pays pour obtenir le droit de vote. Le défi était de taille.

Révélée il y a quelques années grâce à Brick Lane, la cinéaste Sarah Gavron a vite eu l'idée de porter l'histoire des suffragettes au cinéma. Au début du XXe siècle, ces femmes, souvent issues du milieu ouvrier, ont milité sans relâche, malgré une répression parfois brutale, pour obtenir le droit de vote en Grande-Bretagne. Ce combat a d'ailleurs eu une grande résonance dans plusieurs autres pays occidentaux, y compris le Canada.

Entre l'idée du film et sa réalisation, il s'est pourtant écoulé plusieurs années. Au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse plus tôt cette semaine, la cinéaste soulignait en outre la difficulté de monter financièrement un projet comme celui-là.

«On peut s'en surprendre, mais cette histoire n'a quand même jamais été abordée au cinéma, fait-elle remarquer. Avec les deux productrices Alison Owen et Faye Ward, ainsi qu'avec la scénariste Abi Morgan, nous avons entrepris des recherches sur cette époque, notamment sur la vie de ces femmes qui ont milité en 1912. Le matériel dont nous disposions était incroyablement riche. Au point où plusieurs pistes s'offraient à nous sur le plan narratif.»

Du XXe au XXIe siècle

Aussi, l'idée de créer un personnage fictif, qui serait un amalgame de toutes les femmes qui ont façonné cette histoire, s'est finalement imposée. Carey Mulligan campe ce personnage d'ouvrière, jeune mère et conjointe, qui ralliera la cause au péril même de sa vie familiale.

«L'histoire de ces femmes est très captivante, souligne la réalisatrice. Elles croyaient à la justesse de leur cause au point d'en appeler à la désobéissance civile, de faire de la prison et des grèves de la faim. Les moyens utilisés pour les intimider et les faire taire avaient quelque chose de très choquant aussi. Le coût personnel qu'elles ont dû payer pour faire valoir leurs droits est très élevé. Leur lutte résonne encore au XXIe siècle. Il y a encore beaucoup d'inégalités. Et dans plusieurs pays, les droits des femmes ne sont même pas reconnus.»

Au-delà du fait que plusieurs des thèmes abordés dans le film - la violence sexuelle, notamment - sont toujours d'actualité, Sarah Gavron fait aussi valoir que l'histoire des suffragettes reste plutôt méconnue.

«Il ne faut pas vraiment s'en étonner, dit-elle. Les livres d'histoire sont écrits majoritairement par des hommes. L'histoire des femmes a été marginalisée au rang de détails sans importance au fil des siècles. Elles ont accès aux hautes études depuis relativement peu de temps. Au cinéma, on n'a pratiquement pas fait écho à leur histoire non plus.»

D'ailleurs, le montage financier du film a été difficile à faire. «Il est assez inhabituel de voir un film à propos des femmes être fabriqué entièrement par des femmes, fait remarquer la réalisatrice. En 2015, il y a encore très peu de films réalisés par des femmes, et encore moins de films construits autour de personnages féminins. Monter un film comme celui-là constitue un défi. Mais nous sommes parvenues à le relever!»

Poursuivre le combat

À l'évidence même, le combat qu'ont mené les suffragettes n'est pas terminé, même plus d'un siècle plus tard. La réalisatrice tenait d'ailleurs à tracer un lien avec la réalité actuelle en affichant les années où le droit de vote a été accordé aux femmes dans différents pays.

«En Arabie saoudite, les femmes ont le droit de vote depuis quelques mois à peine!, souligne Sarah Gavron. Il est important de mettre tout ça en relief. Depuis 100 ans, nous avons fait plusieurs avancées, mais souvent, chaque vague provoque aussi un mouvement de ressac. En Grande-Bretagne, nous avons bien sûr fait des progrès, mais il y a encore place à l'amélioration. En même temps, notre sentiment est mitigé parce qu'on sabre les programmes sociaux. Les femmes en sont généralement les premières victimes.»

«Cela dit, poursuit Sarah Gavron, il est important de ne jamais baisser les bras, de toujours poser des questions. L'on se doit de continuer à revendiquer une meilleure représentation des femmes dans toutes les sphères d'activité où s'exerce le pouvoir. En comparaison avec l'époque des suffragettes, qui n'avaient pratiquement aucun droit, même pas en regard de leurs propres enfants, il est évident que nous avons fait du progrès en tant que société. Mais la vigilance est de mise.»