Après une longue série de films dans lesquels il semblait avoir perdu de sa superbe, Johnny Depp trouve un personnage à sa mesure dans un drame policier inspiré d'événements réels.

Le réalisateur Scott Cooper, grâce à qui Jeff Bridges a obtenu un Oscar pour Crazy Heart, n'en revenait pas. Pendant le tournage de Black Mass, il a pu observer de façon quotidienne Johnny Depp pratiquer son art. Et devenir devant sa caméra James J. «Whitey» Bulger, ce criminel terrifiant qui, dans le quartier de South Boston, a fait la pluie et le beau temps pendant une vingtaine d'années.

«En tant qu'admirateur de Johnny, j'appréciais déjà sa façon de se transformer d'un rôle à l'autre, a déclaré le cinéaste au cours d'une conférence de presse à laquelle a aussi participé l'acteur. Mais là, de travailler avec lui, de voir cet être si doux, si gentil dans la vie, se transformer intérieurement en monstre devant soi, c'est quelque chose de complètement fascinant. L'homme que vous voyez aujourd'hui, assis à ma droite, n'est pas du tout le même que celui que vous voyez à l'écran!»

Un rôle marquant

Depuis la présentation du film à la Mostra de Venise, il est vrai que la rumeur se fait insistante. Johnny Depp livre dans Black Mass une composition saisissante, à mille lieues des rôles plus fantaisistes qui ont assuré son succès au fil des ans. On inscrit d'emblée cette performance dans la lignée des Brando, Pacino, De Niro et compagnie, tous interprètes de figures criminelles devenues mythiques au cinéma.

Une différence toutefois: Depp incarne un criminel encore vivant. Épinglé en 2011, à l'âge de 81 ans, James J. Bulger est en train de finir ses jours entre les murs d'une prison à Tucson, en Arizona.

«Au moment de la préparation, j'ai pris contact avec l'avocat de James Bulger pour voir s'il était possible pour moi de le rencontrer, a expliqué Johnny Depp. J'estimais important de faire cette démarche, car à l'époque de Donnie Brasco, j'avais passé beaucoup de temps avec Joe Pistone et cela m'avait été utile. Cela nous avait permis de changer certaines choses dans le scénario et de faire un portrait plus juste. Mais une semaine après ma demande, on m'a fait savoir que Bulger ne souhaitait pas me rencontrer. Il n'est pas très heureux du livre qui a servi d'inspiration au film!»

Le scénario de Black Mass, écrit par Mark Mallouk et Jez Butterworth, est en effet tiré du bouquin qu'ont publié deux journalistes d'enquête du Boston Globe, Dick Lehr et Gerard O'Neill. Ce sont eux qui, en 1988, ont révélé que le criminel était aussi un informateur du FBI, dévoilant ainsi une affaire de corruption sur laquelle ils enquêteront pendant des années.

«Contrairement à un personnage fictif, où tu peux te laisser aller dans l'invention au point d'en faire parfois trop, un personnage comme celui-là vient avec une grande responsabilité, indique l'acteur. Parce que tu te dois d'être le plus vrai possible. Je connaissais déjà l'histoire de James Bulger avant de faire le film, parce que l'affaire est célèbre, mais je me suis rendu compte au fil des recherches que plus tu creuses, plus les versions divergent d'un intervenant à l'autre.»

À cet égard, le cinéaste confirme qu'il aura fallu faire des choix, étant donné que la vérité absolue ne semble pas exister dans cette histoire.

«James Bulger a son point de vue, le FBI en a un autre et les victimes aussi, fait-il remarquer. Nous n'avons pas voulu faire un documentaire. Dans un cas comme celui-là, le but est surtout d'atteindre une authenticité sur le plan psychologique.»

Sans caricature ni glamour

Privé d'une rencontre avec celui qu'il doit incarner à l'écran, Johnny Depp a quand même pu se rabattre sur d'autres éléments en guise de préparation.

«J'ai vu et lu à peu près tous les documents disponibles, dit-il. J'ai aussi eu des conversations avec l'avocat de Bulger, qui ont été utiles, même s'il fallait toujours deviner entre les lignes. Visiblement, il ne voulait pas trop en dire. Surtout, j'ai pu parler aux gens de South Boston. Ces rencontres ont été précieuses. Ceux qui habitent ce quartier ont presque une langue qui leur est propre.»

Bien que très transformé physiquement, l'acteur ne voulait surtout pas tomber dans la caricature.

«À mes yeux, le personnage ne devait pas être outrageusement démoniaque, ajoute-t-il. Il y a, je crois, deux aspects très distincts dans sa vie. Il y a d'abord le volet intime, puis le volet de ses «affaires, où là, il est impitoyable. J'ai cherché l'être humain à travers tout ça.»

À ce chapitre, le coscénariste Mark Mallouk est très clair. Pas question de «glamouriser» le personnage, d'aucune façon.

«Nous ne sommes plus à l'époque de Scarface ou The Godfather, précise-t-il. Nous avons tenté de trouver un équilibre en écrivant le personnage. C'est-à-dire que son parcours est intéressant, mais nous ne voulons pas qu'il serve de modèle. D'aucune façon.»

De son côté, Scott Cooper sait que son film s'inscrit dans un genre déjà très fréquenté.

«Je suis évidemment très admiratif du cinéma de Francis Coppola, Martin Scorsese, Jean-Pierre Melville, et tous ceux qui nous ont donné quelques chefs-d'oeuvre. J'aborde le genre en toute modestie, en évoquant surtout le drame humain qui s'est joué à cette époque. J'ai d'ailleurs hâte que les gens qui ont été affectés directement par les crimes de James Bulger voient le film.»

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Black Mass (Messe noire en version française) est présentement à l'affiche.