Deux semaines avant la tenue du Festival de Cannes, Xavier Dolan a surpris le monde du cinéma en annonçant un projet dont personne n'aurait pu soupçonner la nature, ni l'ampleur, ni la folie, pas même l'existence.

Dès le lendemain de la clôture du festival, où il faisait partie du jury présidé par les frères Coen, le cinéaste québécois rentrait chez lui pour commencer immédiatement le tournage de Juste la fin du monde. Lequel se poursuit encore deux semaines.

Inspiré d'une pièce de Jean-Luc Lagarce, écrite au début des années 90, le film réunit cinq pointures du cinéma français : Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Vincent Cassel, Léa Seydoux et Nathalie Baye. Tout ce beau monde s'est retrouvé dans un modeste bungalow à Laval pour tourner pendant cinq jours les scènes où les cinq personnages interagissent.

Évidemment, la logistique n'a pas été simple à mettre en place. Spécialement dans le cas de Léa Seydoux. Non pas que l'actrice soit plus exigeante que les autres, mais ses présences sur le plateau de Dolan ont dû être négociées avec les producteurs de Spectre, le prochain James Bond. Le moindre changement au plan de travail sur le plateau européen où l'on tourne la nouvelle aventure du plus célèbre agent secret de Sa Majesté provoque une onde de choc. Dont l'effet se rend jusque dans la petite rue de Sainte-Dorothée où l'équipe de Xavier Dolan a installé ses pénates. Tout s'est toutefois déroulé comme prévu. Une sixième journée de tournage avec l'ensemble de la distribution a cependant dû être décalée et reportée au mois d'août. À l'arrivée, on comptera 28 jours de tournage en tout.

EN SYMBIOSE

Au cours de la pause dîner, le cinéaste a bien accepté de nous donner un peu plus de détails, notamment sur l'origine du projet, mais surtout sur son approche. À la fin du Festival de Cannes, le réalisateur de Mommy a notamment déclaré que sa fonction de juré aurait sans doute une influence sur son propre travail.

« À Cannes, on a vu une vingtaine de films, tous issus de visions très différentes, explique-t-il. Quand un cinéaste raconte une histoire exactement de la façon qu'il a voulu la raconter, ça se voit, ça se ressent tout de suite. Les films qu'on a célébrés ont tous en commun d'être en symbiose avec leur mandat original. Forcément, ça t'amène à réfléchir. Est-ce que les gens verront le même film que celui que j'ai en tête ? Quel est le meilleur moyen d'y arriver ? »

« C'est le public qui établit la relation qu'a une oeuvre avec le reste du monde. En conséquence, ma mission est de trouver la manière qui sert le mieux l'histoire que je raconte, et de discerner ce qui intéresse le plus le spectateur », ajoute Xavier Dolan.

Sur la recommandation d'Anne Dorval, qui avait joué sur scène le rôle que tient Marion Cotillard dans le film, Xavier Dolan a lu la pièce de Lagarce une première fois alors qu'il était âgé de 19 ans.

« À cette époque, j'avais soif de culture, mais je n'en avais pas vraiment beaucoup, dit-il. Anne m'a initié aux grands textes, à Racine, au théâtre en fait. Elle insistait pour je lise cette pièce. Mais j'étais trop jeune pour apprécier cette langue très particulière, vraiment théâtrale. Je l'ai relue après la présentation des Amours imaginaires à Cannes. Là, j'ai vraiment été touché. J'ai alors compris qu'il me fallait absolument en faire un film un jour, et que j'attendrais le bon moment pour le faire. »

Le cinéaste évoque en outre les rapports complexes entre les cinq personnages. L'un d'entre eux, Louis (Gaspard Ulliel), retourne voir sa famille après 12 ans d'absence, histoire de leur apprendre sa mort imminente.

« Gaspard incarne le personnage pivot du récit, mais les cinq personnages sont pratiquement d'égale importance, précise Dolan. Chacun a sa scène, son moment. Comme il s'agit d'une pièce sur l'écoute et sur l'incapacité de communiquer, ils ont tous tellement de choses à dire à Louis qu'ils viennent tour à tour lui parler en lui laissant à peine le temps d'ouvrir la bouche. C'est vraiment une variation sur le retour du fils prodigue. »

DES ACTEURS INVESTIS

Ayant pour moteur principal la direction d'acteurs, le cinéaste ne tarit pas d'éloges envers sa distribution cinq étoiles, entièrement composée d'acteurs français.

« Je ne vois strictement aucune différence dans la façon de travailler avec eux. C'est exactement la même chose qu'avec des acteurs québécois. Je suis très touché par la qualité de leur travail, de leur préparation, de leur investissement. Je doute énormément, de mes idées, de mes choix. Mais j'essaie au moins de ne pas douter de moi, car je pourrais alors entrer dans des réflexions négatives. Ça, je ne peux pas me le permettre. »

À moins d'une catastrophe d'envergure nucléaire, Juste la fin du monde devrait être lancé au Festival de Cannes l'an prochain. C'est du moins ce dont présume déjà toute la communauté cinématographique mondiale. Du côté de la production, on ne cache évidemment pas cette intention, mais on précise quand même qu'à ce chapitre, absolument rien n'est encore réglé.

À l'impossible, tous sont tenus !

L'as directeur photo André Turpin retrouve Xavier Dolan pour la quatrième fois. La collaboration entre les deux hommes a commencé avec le fameux clip College Boy (pour le groupe Indochine) et s'est ensuite poursuivie en enchaînant trois longs métrages : Tom à la fermeMommy, et maintenant Juste la fin du monde

« Je construis mon programme en fonction des projets de Xavier maintenant, indique-t-il. Comme pas mal tout le monde autour de lui d'ailleurs. De tous les réalisateurs avec qui j'ai travaillé, il est de loin le plus exigeant. Xavier demande l'impossible. Tous les jours. Et ce n'est même pas une figure de style. Des fois, je me fâche tellement ce qu'il demande semble irréaliste. Et finalement, on réussit à faire ce qu'il voulait au départ ! Il est aussi très méticuleux à propos de la lumière. Il n'hésite pas à exiger qu'on refasse l'éclairage au complet si quelque chose ne correspond pas à ce qu'il souhaite. En fait, il ne fait aucun compromis sur la qualité. 

« Quand ça va bien, Xavier est l'être le plus merveilleux du monde. Il redonne beaucoup. Quand on le sent heureux, c'est un plaisir fou de travailler avec lui. C'est stimulant de le voir travailler avec ses comédiens aussi. Il leur demande énormément. Et de plus en plus, on dirait. Il y a de vrais moments d'émotion sur ses plateaux. Xavier exige vraiment le meilleur de tout le monde et on a envie de lui donner. »

Entre Mommy et Juste la fin du monde, André Turpin a eu l'occasion de tourner, 14 ans après Un crabe dans la tête, son troisième long métrage à titre de réalisateur. Endorphine prendra l'affiche à l'automne.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

André Turpin sur le plateau de tournage.